La Section Française de l’Institut des Études Étrusques et Italiques

, par Marc-Antoine Rey

Née à la fin des années 1970, la section française de l’institut des Études Étrusques et Italiques, a son siège à l’École normale supérieure et compte 12 membres d’AOROC.

L’histoire de la SFIEEI est retracée par Dominique Briquel, ancien directeur d’AOROC entre 2001 et 2010 et spécialiste de l’Histoire de l’Italie pré-romaine et d’étruscologie.


La préhistoire : la dimension internationale de l’étruscologie au XIXe siècle et les contrecoups de l’affirmation nationale

La recherche en étruscologie a depuis longtemps un caractère international. La localisation des Étrusques fait certes que cette civilisation a toujours intéressé en priorité les Italiens et que ceux-ci constituent la grande majorité de ceux qui travaillent dans ce domaine. Mais, à partir du moment où on a dépassé le stade de la quête des beaux objets destinés à enrichir des collections et que les spécialistes se sont avisés qu’il fallait un enregistrement scientifique des trouvailles, débouchant sur leur étude – ce qui ne s’est réellement produit qu’au début du XIXe siècle –, cette dimension internationale s’est immédiatement fait sentir. En 1829 a été fondé à Rome l’Institut de Correspondance Archéologique qui, s’il a bénéficié lors de sa création du patronage du futur roi de Prusse Frédéric Guillaume IV, alors prince héritier, et si les Allemands y ont été dès le début nombreux et actifs, était un cadre de rencontres largement ouvert, où les savants des différents pays venaient exposer leurs découvertes. Malheureusement cette belle unanimité n’allait pas survivre à la montée des nationalismes.
En 1871, à l’issue de la guerre de 1870-1871 qui s’est traduite par la fondation de l’Empire allemand et a également permis l’incorporation de Rome et des États pontificaux dans une Italie unifiée, l’institut est devenu l’Institut Archéologique Germanique (Istituto Archeologico Germanico), c’est-à-dire, encore plus clairement dans dénomination allemande de Deutsches Archäologisches Institut in Rom un institut purement allemand. De son côté, l’Italie créait des organismes nationaux, qui mettaient en avant la culture étrusque comme un des plus beaux fleurons de ce qu’avait produit la péninsule (création du Museo Etrusco de Florence en 1870, du Musée national de la Villa Giulia à Rome en 1899).

 

L’Institut des Études Étrusques et Italiques de Florence

C’est dans cet esprit encore très national qu’est né l’Institut des Études Étrusques et Italiques, dont le siège fut fixé à Florence, au cœur la Toscane où, depuis le temps des Médicis, le souvenir du glorieux passé étrusque de la région avait été mis à l’honneur. Apparu d’abord en 1925 comme un simple comité (Comitato Permanente per l’Etruria), ayant donné naissance en 1927 à la revue Studi Etruschi, qui devint dès lors la publication fondamentale dans ce secteur, il travailla d’abord dans un cadre strictement italien : le premier congrès qui fut organisé fut, en 1926, le Primo Congresso Nazionale Etrusco.
Mais la dimension internationale, évidente dans un domaine où la recherche était depuis toujours le fait de savants de différents pays, se fit rapidement sentir et en 1928 donna lieu à une rencontre cette fois internationale qui se tint à Florence, le Primo Congresso Internazionale Etrusco.
En dépit de cette ouverture sur l’extérieur, l’Institut des Études Étrusques (Istituto di Studi Etruschi), établi sous ce nom en 1932, se situa d’abord dans un contexte uniquement italien. Doté d’un conseil de direction (Consiglio direttivo), qui en choisissait les membres, au titre soit de membres ordinaires, soit de membres correspondants, il joua un grand rôle dans le développement des études étrusques dans la péninsule, où des chaires spécialisées se créèrent dans de nombreuses universités. Par ailleurs, sans s’enfermer dans une définition étroite de son objet de recherche et tenant compte de l’essor des fouilles et des études portant sur les composantes de l’Italie préromaine autres que celles relevant de la seule culture étrusque, il intégra dans son nom cette dimension italique, l’Institut devenant en 1951 Istituto di Studi Etruschi ed Italici – appellation qui est encore la sienne aujourd’hui, à la différence près que depuis 1989 il a été autorisé à porter le nom d’Istituto Nazionale di Studi Etruschi ed Italici. L’introduction de l’épithète « national » ne doit pas être dans ce cas comprise comme traduisant le désir de limiter son champ d’action à la seule Italie, bien au contraire : elle est une marque officielle de reconnaissance du rôle de cet organisme pour la coordination des initiatives scientifiques, y compris vis-à-vis des pays autres que l’Italie. Bien des entreprises qu’il patronne ont une ampleur internationale. C’est le cas du corpus des miroirs étrusques (Corpus Speculorum Etruscorum), qui, développant une idée lancée au départ par le Belge Roger Lambrechts, décédé en 2005, vise à donner une publication moderne de l’ensemble des miroirs étrusques connus de par le monde, assurée pays par pays à travers une série de fascicules : actuellement 30 de ces fascicules sont parus, 8 concernant l’Italie (et un les musées du Vatican) et les autres étant consacrés à l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Belgique, les Pays-Bas, la Suisse, le Danemark, La Hongrie et la République tchèque, les Etats-Unis et la France (pour laquelle les quatre fascicules publiés à ce jour ont été réalisés par Denise Rebuffat-Emmanuel, chercheur associé à l’UMR 8546). On peut également citer la parution dans chaque numéro de la revue Studi Etruschi, d’une Rivista d’Epigrafia Etrusca et d’une Rivista d’Epigrafia Italica, chroniques qui font régulièrement le point sur les nouveautés en matière d’épigraphie étrusque et italique, à laquelle collaborent des spécialistes du monde entier, dont pour la France plusieurs membres de l’UMR 8546.

 

Naissance des sections étrangères de l’Institut

Mais cette dimension internationale a pris aujourd’hui un tour plus institutionnel, grâce à la création de sections étrangères – c’est-à-dire non italiennes – de l’Institut de Florence. Depuis 1952, le Consiglio direttivo souligne l’importance de l’apport de chercheurs d’autres pays dans le domaine des études étrusques et italiques par leur nomination en tant que membres de l’Institut, comme il le faisait depuis l’origine en Italie pour ses membres nationaux, ordinari et corrispondenti – ces membres non-italiens étant élus comme membri stranieri. Ceux-ci sont actuellement au nombre de 69, appartenant à 15 pays (France, Espagne, Grande-Bretagne, Belgique, Pays-Bas, Suisse, Allemagne, Autriche, Hongrie, Slovénie, Pologne, Danemark, Suède, Russie, États-Unis). Mais la vitalité de la recherche dans le domaine étrusque et italique est telle dans certains pays qu’il y existe un nombre suffisant de ces spécialistes de niveau internationalement reconnu pour qu’ils s’y regroupent en sections.
Et c’est en France, à la fin des années 1970, qu’est née la première de ces « sections étrangères », autour de Jacques Heurgon et Raymond Bloch, qui avaient fait partie de la première série de membri stranieri en 1952, et Michel Lejeune, élu en 1953 : étant donné les liens que tous trois avaient avec l’École normale supérieure et son laboratoire d’Archéologie, c’est tout naturellement celui-ci qui servit de siège à cette section française de l’Institut de Florence. Cette situation a perduré depuis, d’autant plus que sur les 19 membres font partie de cette section française (ce qui en fait, et de loin, la plus nombreuse), 12 sont rattachés au laboratoire d’Archéologie et à l’UMR en tant que membres ou chercheurs associés (Dominique Briquel, Gérard Capdeville, Dominique Frère, Françoise Gaultier, Jean Gran Aymerich, Marie-Laurence Haack, Jean-René Jannot, Françoise-Hélène Massa-Pairault, Christian Peyre, Denise Rebuffat-Emmanuel, Jean-Paul Thuillier, Stéphane Verger). 
Après la section française, d’autres sections se sont créées : l’allemande, sous la direction de Friedhelm Prayon, professeur à l’université de Tübingen, l’autrichienne, sous celle de Luciana Aigner-Foresti, professeur à l’université de Vienne, l’américaine, sous celle de Larissa Bonfa, professeur à l’université Columbia, New-York. Cette appartenance au même Institut leur permet de mener à bien des projets communs : la fouille de la Castellina del Marangone, qui s’est déroulée entre 1995 et 2002 et a été, pour la partie française, mise en œuvre par l’UMR sous la direction de Jean Gran Aymerich, qui en a également dirigé la publication (La Castellina a sud di Civitavecchia : origini ed eredità. Origines protohistoriques et évolution d’un habitat étrusque, Erma di Bretschneider, Rome, 2011), résulte d’une initiative conjointe des deux sections française et allemande, appuyée par Massimo Pallottino qui dirigeait alors l’Institut. Les liens sont constants entre les sections : la section américaine publie d’ailleurs un petit journal en ligne, à parution semestrielle, qui sert d’organe de liaison entre les sections étrangères et donne un bon aperçu de tout ce qui se fait dans les différents pays ([Etruscan News sur le site ancientstudies.fas.nyu.edu].

 

Les congrès de l’Institut National des Études Étrusques et Italiques, manifestation privilégiée de la vitalité de la section française

Une occasion privilégiée de témoigner de la structure internationale de l’Institut est fournie par les congrès dont celui-ci prend l’initiative, s’inscrivant ainsi dans la tradition qui avait été la sienne depuis les débuts. Cette ouverture sur la recherche internationale, manifestée par la nomination des membri stranieri et par la mise en place des sections non italiennes, a été marquée par la tenue en 1985 à Florence du second congrès international, faisant écho à presque soixante ans de distance de celui de 1926, qui pu dresser un état global de la recherche dans ce secteur à travers le monde. Lors de ce Secondo Congresso Internazionale Etrusco, dont les actes, en trois volumes, ont été publiés en 1989 chez Giorgio Bretschneider à Rome, la section française a été largement présente (R. Bloch, B. Bouloumié, D. Briquel, G. Capdeville, J. Gran Aymerich M. Gras, C. Guittard, J. Heurgon, J.-R. Jannot, M. Lejeune, F.-H. Massa Pairault, J.-M. Paillier, J.-P. Thuillier ont présenté des communications). Mais elle l’est également dans les rencontres à visée moins générale, intitulés Convegni di Studi Etruschi ed Italici, consacrés à une thématique particulière, qui se déroulent tous les deux ou trois ans. Les membres de la section française et les chercheurs de l’UMR y participent régulièrement.
Ce qui est plus notable, alors que ces rencontres ont habituellement lieu en Italie et regardent avant tout ce qui concerne la péninsule, deux se sont déroulées, en totalité ou en partie, en France et ont traité de sujets qui concernaient les relations entre l’Étrurie et notre territoire : le XXIV Convegno di Studi Etruschi ed Italici. Gli Etruschi da Genova ad Ampurias, qui s’est déroulé en 2002 à Marseille et Lattes et dont les actes ont été publiés en 2006, a été consacré aux contacts commerciaux entre l’Étrurie et les régions côtières de la Provence et du Languedoc, tandis que le XXVIII Convegno di Studi Etruschi ed Italici, intitulé La Corsica e Populonia, qui s’est déroulé en octobre 2011, d’abord à Bastia et Aléria puis à Piombino et Populonia, a été consacré aux relations entre l’île et la portion de la côté tyrrhénienne qui lui faisait face. Chaque fois, en dehors des communications que ses membres y ont présentées, la section française a collaboré à l’organisation de ces rencontres et aux manifestations scientifiques qui les ont accompagnées (à l’occasion du colloque de 2002, exposition Les Étrusques en France. Archéologie et collections, avec le catalogue correspondant, montée au musée de Lattes sous la direction de Christian Landes pour présenter le matériel étrusque, souvent inédit, soit trouvé sur les sites de la région, soit venant d’Italie et appartenant à des collections locales ; à l’occasion du colloque de 2011, étude et présentation par Stéphane Verger d’une paire de cnémides découverte dans une tombe d’Aléria par J. et L. Jehasse et sur laquelle une restauration effectuée par le laboratoire de Draguignan à la demande de J. Cesari, responsable du service archéologique régional, avait révélé la présence d’une remarquable représentation de Gigantomachie).