Axe 5. Présentation

, par Marc-Antoine Rey

Responsables : Amina-Aïcha Malek & François Queyrel.

Par mise en espace, nous entendons conduire une réflexion principalement axée sur le terrain, qui traite de la restitution de la culture matérielle – vestiges de jardins, d’architectures et de décors – dans son contexte spatial. Nous explorerons ainsi la manière dont les formes, qu’elles soient paysagistes, architecturées, peintes, mosaïquées ou stuquées, sculptées ou gravées, façonnent l’espace pour en faire le support de pratiques spécifiques et d’un imaginaire où se déploie un horizon culturel partagé.


De cet espace restitué, qui porte en lui une pensée, émerge un savoir paysager, architectural et ornemental que l’on examinera à partir des différents sites sur lesquels AOROC conduit des travaux de recherche, couvrant une aire géographique et chronologique vaste, du Maghreb à l’Asie centrale, des époques mauritanienne et hellénistique à l’Antiquité tardive, jusqu’à la période omeyyade. En nous resituant dans la tradition des traités d’architecture, nous envisagerons l’espace architectural et paysager selon le triptyque vitruvien : soliditas, utilitas, venustas, valences nécessaires au processus créatif des concepteurs jusqu’à nos jours. Deux approches indissociables seront menées l’une consacrée à la matérialité de l’espace architectural (construction, matériaux, forme), l’autre à sa dimension phénoménologique, l’ « espace vrai » étant celui qu’occupe l’activité de notre corps (H. Focillon).

5.1- Mutata forma : mise en paysage des espaces architecturaux

L’objectif est de considérer les jardins comme environnements construits et de les apprehender comme partie intégrante de la conception architecturale. Par là même, nous mettrons en lumière la valeur paradigmatique des jardins dans la production des espaces et leur fonction sociale dans l’expérience du quotidien.
La construction complexe et parfois paradoxale des espaces architecturaux antiques par leur intrication avec les espaces « naturels » nécessite une réflexion sur leurs relations réciproques. Les jardins sont omniprésents dans les architectures des cités antiques, qu’il s’agisse de monuments et parcs publics ou de maisons privées. Une telle présence est-elle le signe d’une volonté de naturaliser l’espace architectural ou serait–elle la trace d’une invocation du naturel ? Pour explorer ce questionnement, nous avons choisi le modèle des capitales (Athènes, Avenches, Lambèse, Lyon et Rome) qui offre une grande diversité d’espaces plantés en nous fondant sur l’inventaire, déjà réalisé, des jardins publics, qui articulent le tissu urbain et servent de modèle à l’organisation des jardins privés. Nous rechercherons les antécédents et examinerons les autres villes ou agglomérations d’Orient et d’Occident et leur périphérie (Azrag, Gérasa, Pétra, Pompéi, Mandeure, Narbonne, Nîmes, Nyon, Dougga, Volubilis), le croisement des données affinera notre compréhension sur le fonctionnement de ces espaces de nature et leur place dans l’évolution de l’urbanisme.
Dans cette réflexion, les textes ont un rôle majeur et invitent à sélectionner des passages clefs concernant l’approche des jardins dans l’urbain. Le but n’est pas de rechercher les termes définissant le jardin antique – souvent mouvants et parfois elliptiques – mais de repérer les traces de leur conception et de leur vécu en définissant les concepts dont ils sont issus autant du point de vue de leur édification que de l’expérience qu’ils suscitent. Dans la continuité du corpus Dire le décor antique, un groupe de philologues, d’archéologues mais aussi d’architectes paysagistes établira un corpus de textes et son commentaire illustré. Le mouvement – la promenade à pied, en litière, à cheval ou en bateau – et le regard qui l’accompagne, notions récurrentes dans la littérature grecque et latine de Platon à Plotin jusqu’à Ausone, sous-tendront notre réflexion. Par le regard et le mouvement, une transformation de l’environnement s’opère, les formes changent.

5.2- Formes construites et métamorphose des espaces

Dans la continuité de notre exploration sur le changement des formes construites et leur mise en espace, nous reconsidérerons en particulier les espaces domestiques urbains, péri-urbains et ruraux. La mise au jour de deux maisons à Lambèse a ouvert sur une réflexion multiscalaire de l’espace qui se décline différemment selon qu’il soit celui du décor, celui des pièces qui organisent la domus, ou celui de la ville dans laquelle celle-ci est implantée. La mise en série des architectures domestiques issues des fouilles actuelles, d’Avenches, de Mariana et de Stabies nourrira la relecture des données et permettra de cerner la dynamique spatiale créée par la configuration dans l’espace des formes construites et leurs relations réciproques.
Le programme intégrera d’autres sites en cours d’étude en France (Agen, Andilly-en-Bassigny, Arles, Chartres, Limoges, Meaux, Nîmes, Paris, Périgueux, Piantarella, Reims) et au Maroc (Lixus, Volubilis).
Explorer la fonction signifiante du décor et son support, en d’autres termes ses implications sémantiques à travers la sculpture, les reliefs, les revêtements -mosaïque, sectilia de marbre et de verre, enduit peint, stuc, placage de roches décoratives, c’est aussi étudier sa mise en œuvre et la chaîne opératoire qui en découle :

  • des mines et carrières aux parements ornés,
  • de la mer aux décors composites - coquillages, exotica (perle, écaille, ivoire …)
  • de la nature - végétaux, terres, minéraux- aux pigments,
  • des ateliers de verrier et de potiers aux parements mixtes de verre et terre cuite.
    Si les textures, les couleurs, les schémas, les motifs, et leur agencement nourrissent le langage pictural, métamorphosent l’espace et déterminent sa fonction, d’une zone géographique à une autre, d’un espace à un autre (Beit-Ras, Palmyre, Ostie, Tivoli, Herculanum, Gaule), ils sont aussi la trace d’ateliers locaux et manifestent la circulation des œuvres d’art. L’analyse critique de la documentation à disposition pour les sites sélectionnés, tiendra compte de documents graphiques, photographiques et textuels réunis à des périodes de fouille et d’études différentes. Un accent sera mis sur le moment de la découverte, source d’informations souvent oubliées ou mal comprises et sur la conservation –restauration in situ des vestiges dont le protocole permettra de sauvegarder l’ensemble, comme une entité cohérente et signifiante des connaissances technologiques et culturelles à l’œuvre.

5.3- Mise en espace et temporalité

L’espace se construit dans le temps, à cet égard les sculptures se prêtent particulièrement bien à une approche en contexte temporelle. On prend en compte maintenant toute l’histoire des statues et pas seulement les conditions de leur exposition initiale. Le travail sur les fragments sculptés de Délos a pour objet de traiter un matériel essentiellement inédit et de le replacer dans son environnement en prenant en compte les dispersions intervenues au fil du temps, il s’agit de reconstituer les ensembles exposés et leur mise en scène, en particulier, dans l’Agora des Italiens.
On rencontre le même phénomène dans les décrets honorifiques comme les effigies portraits, dans les lieux les plus en vue. Il faut s’interroger sur l’équivalence avec la mise en image que le contexte suggère et constater les écarts entre construction iconographique et histoire intentionnelle. Ces réflexions orientent dans de nouvelles voies la prise en compte des restes archéologiques et des textes : il ne s’agit pas d’établir des équivalences, mais de dégager des signes qui interagissent. L’objet de l’étude à cet égard connaît une histoire qui donne au contexte un rôle agissant.