Paul Bernard (13/06/1929 – 01/12/2015)

, par Annick Fenet

Paul Bernard avait participé à la création de ce qui est devenu l’UMR 8546-AOROC et en fut l’un de ses plus illustres représentants.

Il y avait développé, avec ses collègues et élèves, la très riche activité de recherche en Asie centrale, projetant le laboratoire vers des civilisations dont l’archéologie classique avait tendance à sous-estimer l’importance. Il a fait bénéficier ses élèves de sa culture encyclopédique, tant en France que dans tous les pays où il travaillait. Les travaux de ce maître mondialement reconnu des études helléniques et centrasiatiques demeurent incontournables. Ses archives sont en partie conservées à la bibliothèque d’archéologie (AOROC).

Né à Sainte-Maxime (Var), Paul Bernard était entré à l’École Normale Supérieure en 1951. De 1958 à 1961 il fut membre de l’École Française d’Athènes. Ses maîtres dans les études grecques furent Louis Robert, Pierre Devambez et Pierre Demargne, lequel contribua plus que tout autre à l’orienter vers les réalisations orientales de l’hellénisme. Après un séjour à l’Institut d’Archéologie de Beyrouth il rejoignit la Délégation Archéologique Française en Afghanistan (DAFA), alors dirigée par Daniel Schlumberger qui fouillait le grand temple dynastique kouchan de Surkh Kotal. Schlumberger venait d’être informé de la découverte que la DAFA avait attendue depuis sa création en 1922 : une ville grecque, qu’on ne connaissait alors que sous son nom actuel d’Aï Khanoum – on comprit à la fin des fouilles qu’elle était l’Eucratidia mentionnée par Strabon et Ptolémée, mais trop tard pour que le nom authentique pût remplacer l’autre dans les publications.

Les quinze campagnes de fouilles à Aï Khanoum (1964-1978) furent pour Paul d’extraordinaires années d’épanouissement scientifique. Non seulement la Bactriane grecque ressuscitait grâce à ses efforts et à ceux de son équipe, mais aussi lui-même s’ouvrait, plus que n’avait fait aucun de ses prédécesseurs en Afghanistan, à l’immense champ de l’archéologie centrasiatiques de toutes les époques, alors domaine presque exclusif de l’école soviétique. Il eut à cœur d’apprendre le russe, méthodiquement et à fond, en grammairien qu’il était, et d’établir avec les collègues soviétiques des relations de confiance et d’estime qui plus tard devaient bien servir lorsqu’il fallut retrouver un nouveau terrain.

Ces années furent aussi celles où il constitua le premier noyau de ses élèves, pour lequel il puisa, mais non exclusivement, dans le vivier normalien ; un noyau que seuls les disparitions ont depuis entamé. Une plaquette réalisée à l’École, sous la conduite de Guy Lecuyot (Il y a 50 ans… la découverte d’Aï Khanoum), lui avait été offerte en 2014 lors d’une bien émouvante cérémonie à la bibliothèque ; elle contient l’essentiel de ce qu’il fait savoir sur cette entreprise archéologique qui bouleversa à jamais le visage de l’aventure grecque la plus lointaine, et, au-delà, toute l’histoire de Asie centrale. Ces années heureuses furent suivies d’une période difficile après l’arrêt de la fouille du fait de la guerre. On peut bien le dire aujourd’hui, nos autorités de tutelle ne se démenèrent pas pour permettre à Paul et à son équipe de rebondir, ou même simplement de continuer à travailler. À une exception près : l’ENS, et en particulier le laboratoire d’archéologie, matrice de notre AOROC que mettait alors sur pied son fidèle ami Christian Peyre. Comme Paul devait le déclarer lors de la remise de la plaquette : « Sans l’École, je ne sais pas ce que nous serions devenus ».

Désormais titulaire d’une chaire d’« Hellénisme oriental » à l’École Pratique des Hautes Études, il parvint à attirer un nouveau cercle de disciples tout en élargissant le champ de son enseignement et de ses publications à d’autres branches de l’hellénisme oriental : anatolienne, arménienne, syrienne, mésopotamienne. À partir de 1989 l’ouverture de la fouille franco-ouzbèke de Samarkand lui permit de renouer avec le terrain. Plus tard, à la chute du régime des Taliban, il partagea les espoirs, aujourd’hui hélas bien compromis, d’un retour à la paix en Afghanistan ; à l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres, joingnant ses efforts à ceux de Jean-François Jarrige, il organisa la reconstitution de la DAFA, et bientôt il put participer aux nouvelles fouilles de Bactres. Ce retour ne put tempérer sa tristesse d’avoir revu une fois le site d’Aï Khanoum, complètement ravagé par les pillages et n’offrant plus aucune perspective pour une reprise des fouilles.

Jusqu’au bout il était resté actif et vigilant. Il eut à cœur de passer la main à de plus jeunes pour la publication des chantiers encore inédits d’Aï Khanoum. Sa dernière intervention scientifique fut au colloque de l’Académie à la Villa Kérylos (La Grèce dans les profondeurs de l’Asie, 2015), qui fut aussi le théâtre d’un éblouissant dialogue avec Philippe Hoffmann sur le papyrus philosophique trouvé en 1977 au palais d’Aï Khanoum - communications publiées dans les actes du colloque, qui lui sont dédiés.

 

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