Ulpiana / Iustiniana secunda (Kosovo)
Sous la direction de Christophe J. Goddard, Arben Hajdari, Milot Berisha

, par golosetti

Présentation du site

 
Le site archéologique d’Ulpiana se trouve sur le territoire de la commune serbe de Gračanica à huit km au sud-est de la capitale du Kosovo, Prishtina (Fig. 1). Il s’étend sur trente-cinq hectares d’une plaine agricole, au pied d’un système collinéen qui le borde au sud et le long d’une rivière, la Sitnica, qui coule à trois cent mètres au nord de ses murs. La cité était établie au carrefour de deux axes majeurs : une première route liait la côte dalmate, au nord de Dyrrachium, au limes danubien et à la Dacie ; une seconde permettait de rejoindre Thessalonique en passant par Stobi en Macédoine (Fig. 1). Sa fondation romaine était liée la conquête de la Dacie, pour laquelle la province de Mésie Supérieure, dont la cité relevait, servait de base-arrière. La cité d’Ulpiana était l’un des passages obligés des trajets d’Est en Ouest. Elle dut faire face du coup aux différentes incursions barbares des Ve, VIe et VIIe siècles après J.-C. Son histoire fut donc riche et mouvementée.
 

Carte de la province de Mésie supérieure (DAO MAFKO/AOROC, fonds mod. Barrington/Ancient World Mapping Center at the University of North Carolina at Chapel Hill )

 


Le nom de la cité, Ulpiana, laisse bien évidemment entendre que sa fondation était liée à Trajan, le conquérant de la Dacie voisine (106 après J.-C.). La cité est mentionnée par le géographe Ptolémée (III, 9, 6). Deux dédicaces (AE, 1903, 285 ; 284) précisent qu’elle jouissait au IIe siècle du statut de municipe. On remarquera que l’empereur ne lui offrit pas le statut supérieur de colonie romaine à la différence de sa consœur septentrionale de Dacie, la colonia Ulpia Traiana Augusta Dacica Sarmizegetusa (cf. AE, 1913, 55 ; 1931, 122 ; 124). Le statut municipal et non colonial signalait-il la présence d’une entité urbaine antérieure qui n’aurait été que romanisée par Trajan ? Seules de nouvelles dédicaces et de nouvelles fouilles interrogeant les premières phases de l’archéologie du site pourront nous apporter une réponse. L’on remarque tout de même que la zone a été fréquentée depuis l’âge du bronze, comme en témoignent une série de sépultures des XIe et Xe siècles après J.-C.. Les fouilles franco-kosovares placées, entre 2006 et 2010, sous la direction de J.-L. Lamboley (U Lyon 2), E. Shukkriu (U. Prishtina) et A. Hadjari (U. Prishtina), confirment, en tous les cas, qu’il fallut attendre le IIe siècle près J.-C., pour constater un réel développement de son tissu urbain.


La cité fut durant le Haut-Empire le lieu de résidence d’un procurateur de Mésie Supérieure, avant de devenir l’un des cités les plus importantes de la toute nouvelle province créée par Dioclétien, la Dardanie. Cette dernière correspondait à la portion sud-orientale de l’ancienne province de Mésie Supérieure. Il n’est pas inutile de rappeler que l’empereur Constantin lui-même vit le jour dans la capitale de la Dardanie à Naissus (Niš). Cela suppose donc que s’était constituée sur place une élite locale riche et puissante, comme le montre très clairement sur une dédicace d’Ulpiana (AE 1981, 731) la présence d’un ex protectoribus diuini lateris, officier de la garde impériale, centurion ou tribun qui se trouvait aux côtés (lateris) de l’empereur (diuini). N’oublions pas que c’était le rang qu’occupait très vraisemblablement durant la même période, le futur empereur Constance Chlore, père de Constantin (sur les premiers éléments de sa carrière, voir Anon. Val., I, 2 ; PLRE, I, 1979, 228 ; sur le lieu de naissance de Constantin : Aur. Vict., Caes., 40, 3-4 ; Epit., 41, 2 ; Anon Val. II, 2 ; Zos., II, 8.2-9.1-2 ; Amb., de ob. Theod., 42 ; Hier., Chron., a. 327 ; Firm., Math., I, 10, 16 ; Zon., XIII, 1). L’on imagine bien évidemment que comme toute aristocratie provinciale, elle a dû investir sur place des sommes considérables et élever des monuments publics d’une certaine importance, qu’il nous reste à découvrir.
 
La cité avait été aussi implantée non loin de mines de cuivre qui furent exploitées pendant toute la durée de l’époque impériale dans la vallée de la Sitnica (FIG. 2). Un atelier monétaire y fut d’ailleurs installé dès le règne de Trajan, comme le montre l’existence d’une série de pièces portant au revers la mention Metalla Ulpiana (RIC 706). Il conserva sa fonction jusque dans l’Antiquité tardive, comme le signale la découverte sur le site de moules monétaires d’Aurélien (270-275 après J.-C.) et de Constantin (312-337 après J.-C.). Il semble avoir été placé au Haut-Empire sous l’autorité d’un proc(urator) mm(etalorum) DD(ardanicorum) (ILJug. 501, 503 : Sočanica ; Dusanic, 1977, 72 ; 87 ; cf. Hirst, 2010, 58 ; 65 sq.).
 
L’absence de fouilles, du moins jusqu’en 1953, a longtemps réduit l’histoire de la cité à quelques mentions littéraires et épigraphiques. On connaît mal ses derniers siècles d’existence. Tout juste sait-on que l’évêque de la cité, Macedonius, émargea sur la liste des clercs ayant participé au concile de Serica en 343 après J.-C. L’on mesure encore mal l’extension des dommages dont la cité a souffert lors du passage des troupes gothes du début Ve siècle, des Huns lors de leurs incursions répétées dans la région entre 441 et 450 après J.-C. (Priscus, 78, 248). La cité subit-elle les assauts des soldats de Théodoric qui venaient de ravager Naissus en 471 après J.-C.? Nous l’ignorons pour l’heure. Nous savons que la région fut frappée par un tremblement de terre en 518 après J.-C. (comte Marcellin, Chroniques, XI), mais sans pouvoir dire à quel point la cité fut affectée. Tout juste apprend-on par Procope que Justinien, qui était, lui aussi, originaire de Dardanie (et né à Tarausium) voulut restaurer la cité. Il fit réaliser un certain nombre de constructions dans la cité, qui connut une nouvelle dédicace et prit le nom d’Iustiniana Secunda (Procope, de Aed., IV, 28-29).
 
Les historiens ont longtemps imaginé que les attaques des Avars et des Slaves du VIIe siècle après J.-C avaient porté le coup de grâce à la cité, la vidant totalement de sa population et la condamnant à une disparition rapide. La première campagne que avons menée sur le site en juillet 2018 remet en cause cette lecture pour le moins simpliste de la fin d’une cité qui eut, à l’évidence une histoire beaucoup plus longue et mouvementée que nous le pensions. Notre rapport établit que l’on a négligé toute une série d’inondations que semble avoir connu le site au cours du VIe et VIIe siècles, sans pousser les habitants de la cité à l’abandonner pour autant.

État de l’art

Ce sont les fouilles d’E. Ćerškovi et Lj. Popović entre 1954 et 1959, qui ont permis de localiser l’antique cité d’Ulpiana près de l’actuelle ville de Gračanica, suivant la juste intuition d’A. Evans qui avait compris que le site de Lipjian ne convenait pas, même si son nom semblait bien être une déformation slavique de nom du municipe latin.

De Lipjian à Gracanica, la tardive découverte du site archéologique d’Ulpiana

Ces premières investigations archéologiques sont restées limitées au secteur septentrional de la capitale murée de la cité et à une nécropole qui longe la rivière à deux cents mètres au nord de ses murs. Elles n’ont été reprises qu’en 1978 par S. Fidanovski, qui les poursuivit en 1981-1987, tout en restant concentrées sur cette même zone septentrionale. Si l’on excepte une intervention de sauvetage de 1996, il a fallu attendre 2006 pour qu’elles reprennent sous la direction de J.-L. Lamboley (U Lyon 2), E. Shukkriu (U. Prishtina) et A. Hadjari (U. Prishtina), co-directeur de notre projet. Elles se sont poursuivies à une centaine de mètres au sud-ouest sous la direction d’H. Çetinkaya (Mimar Sinan University) entre 2010-2016. Parallèlement entre 2008 et 2012, F.Teichner et F Lüth, sous l’égide du Deutsche Archäologische Institut (Francfort) ont mené une prospection géophysique couvrant près de 44 ha, accompagnée par deux sondages de contrôle réalisés à une vingtaine de mètres au nord de l’enceinte du municipe et sur le secteur méridional de l’enceinte du second noyau urbain souvent présenté (à tort) comme un castrum. M. Berisha (Institut Archéologique du Kosovo) et co-directeur de notre projet, a conduit en 2014 une série de sondages visant à dégager une large portion de l’ancien cardo maximus qui longeait l’église fortifiée découverte en 1959. Si ces cinq enquêtes archéologiques se sont concentrées sur la portion septentrionale du centre urbain de la cité, elles ont permis de recueillir des données importantes. Pour autant, pour s’en tenir à un simple chiffre, moins de 2% de ce premier quadrilatère urbain a fait l’objet d’une fouille ou d’un sondage jusqu’à présent. Et les différentes recherches archéologiques qui se sont succédées sont rarement descendues au dessous des niveaux de construction et de circulation des IVe-VIIe siècles après J.-C. Elles n’ont offert jusqu’aux travaux de J.-L. Lamboley, d’E. Shukkriu et A. Hadjari, qu’une idée floue de l’évolution de la cité dans ses derniers siècles en l’absence de toute donnée céramologique et stratigraphique précise.
 
Jusqu’ici n’ont donc été identifiés et fouillés qu’un nombre limité de bâtiments concentrés au nord du chef lieu de la cité. La plupart des bâtiments qui ont été identifiés et fouillés se situent à l’intérieur de l’enceinte murée, un quadrilatère ponctué de tours semi-circulaires, dont les quatre portes semblent se trouver aux quatre points cardinaux. Une seconde enceinte de même profil et située à une centaine de mètres à l’est de la première, a été associée à un camp militaire auquel semblent faire référence nos sources littéraires.
 
A une centaine de mètres de la porte nord et le long du cardo maximus, un temple à cour de taille moyenne (11.50 x 7.50 m), bordé par un portique a cédé la place durant l’Antiquité tardive à une église de plan basilical en T (14 x 34 m), qui finit par recevoir une enceinte dotée de tours circulaires coupant en deux le tracé de l’ancien cardo maximus (60 x 70 m). On a parfois prétendu que le temple était dédiée à Sérapis, en se basant à tort sur un fragment d’inscription funéraire, par confusion entre le nom d’un dédicant décliné au nominatif et de celui d’un dieu (Parović-Pešikan 1983, p. 47 n° 50). La chronologie précise de ces différentes constructions n’a pu être proposée (pour ses phases tardo-antiques) que grâce à la reprise d’un mission archéologique franco-kosovare sur le site et grâce à l’analyse précise et complète du matériel céramique inventé depuis 2006 et lors de notre propre campagne de juillet 2017.
 
A une centaine de mètres plus au sud, à l’ouest du cardo, a été inventée par une équipe turque de l’Université Mimar Sinan, menée par H. Çetinkaya, un baptistère de forme octogonale (de 13 m. de diamètre) en 2012 et à 5 m. immédiatement au nord de cette dernière, une seconde basilique adjacente, à trois nefs, dotée d’un narthex à l’ouest et d’une large abside orientale (de 8 x 5,5 m., qui présente encore au sol les points de fixation de sa barrière de chancel). Elle était d’une taille imposante (20 x 40 m) entre 2013-2015. Cette fouille n’a malheureusement pas adopté de démarche stratigraphique, tout en étant dépourvue de céramologue. L’archéologue truc imagine qu’elle fut érigée dès le IVe siècle, avant d’être reconstruite et étendue un siècle plus tard en se fondant uniquement sur des critères esthétiques ô combien fragiles, alors que les fonctions de l’un des personnages mentionnés sur certaines des mosaïques de la basilique ne peuvent être que postérieures au dernier tiers du Ve siècle après J.-C. (un comte de la cité pris pour un comte militaire par Çetinkaya, 2016b, p. 42). Rien ne permet d’affirmer, en outre, que la basilique ait été forcément élevée au-dessus d’une église plus ancienne. On remarquera d’ailleurs que la structure inférieure, arasée, était de dimension légèrement supérieure (de 2 m. au sud à 2,10 m. au nord) à l’église. On n’oubliera pas, en effet, que nombre de basiliques furent installées dans les salles de réception de forme basilicale des maisons urbaines ou suburbaines à l’époque tardive. Les inscriptions sur son pavement de mosaïque énumèrent certains donateurs, mais ne précisent pas la dédicace religieuse de l’ensemble. L’on ne gardera rapporter a priori l’édifice aux saints locaux Florus et Laurus (contra Çetinkaya, 2016a, p. 374). Ses dimensions et la présence d’un baptistère donnent bien évidemment une certaine idée de son importance.
 
Au nord des remparts de la cité, deux cents mètres hors des remparts, ont été découverts dès 1956 une nécropole et une basilique toujours de destination inconnue. Plus récemment deux sondages de vérification des prospections géophysiques de F. Teichner et F Lüth ont mis au jour un four de potier situé au nord-est des portes septentrionales.
 
Un second quadrilatère fortifié, situé à l’est du précédent, de 9 ha de superficie environ, pourvu lui aussi d’une enceinte, n’a fait l’objet que d’un relevé en 1956 des tours alors encore visibles et d’un sondage de vérification de son tracé méridional en 2008-2012 par F. Teichner (2015) et F Lüth qui ont fouillé le quart de l’une des tours semi-circulaire que l’on trouve le long de ses murs. On doit noter une élévation générale de la topographie de cet ensemble, située à 1 m. environ au niveau de circulation du IVe siècle après J.-C. du centre intra-mural du municipe de Trajan. Cette donnée fondamentale présente un intérêt tout particulier pour comprendre l’évolution des défis que pose la topographie de la cité au développement de son urbanisme. Nous y reviendrons.
 
L’essentiel des monuments publics propres à toute cité romaine, son forum, un théâtre, un amphithéâtre, des thermes, ses temples, restent à découvrir. Certains sont visibles sur des photographies aériennes anciennes ainsi que sur des relevés géophysiques réalisés par le Deutsches Archäologisches Institut. Cette situation d’un point de vue archéologique est exceptionnelle. Elle promet d’être en mesure de suivre l’évolution d’une cité romaine sur le temps long et de pouvoir suivre, grâce aux méthodes archéologiques les plus récentes, ses dernières années durant l’Antiquité tardive (IVe-VIe siècles après J.-C.) et son abandon au Moyen Age, puisque l’essentiel de centre urbain de la cité reste vierge d’un point de vue archéologique.

Problématique : de la cite antique a la ville médiévale, des temples aux églises.

Si notre connaissance de la transition entre l’Antiquité tardive et le Haut Moyen Age a fait des progrès significatifs depuis la publication des monographies de C. Lepelley (1979-1981, suivi par W. Liebesschuetz 2001), cela tient largement au recentrement scientifique sur la question de la cité entre les IVe et VIIe siècles après J.-C. et au développement de la recherche archéologique. L’enjeu est de taille car le passage de la cité antique, y compris sous sa forme tardive, à la ville médiévale, constitua un véritable révolution tant que le plan urbanistique que sur le plan politique et culturel. Il s’agit tout d’abord de l’abandon d’un modèle d’organisation politique, la cité-État, qui ne se réduisait pas à une simple ville. D’un point de vue géographique, la cité comprenait un centre urbain principal, son chef-lieu, des agglomérations secondaires et un territoire assez vaste. Ainsi, jusqu’en 369-375, Grenoble (qui devint alors Gratianopolis) était-elle l’agglomération secondaire de la cité des Allobroges, dont la capitale était Vienne. Ainsi suivre l’évolution du tissu urbain des cités et la présence ou la disparition de certains édifices symboliques, politiques (forum, curie, enceinte), religieux (temples, églises) ou festifs (théâtre, amphithéâtres) nous permet de suivre l’attachement de certaines communautés du Haut Moyen Age à une culture urbaine héritée de l’Antiquité. Il est malheureusement souvent difficile de le faire, car les assises archéologiques de ce champ de recherche restent fragiles. Notre intérêt pour cette époque de transfert culturel est venu trop tard en quelque sorte (Goddard et alii 2006 ; à paraître). La plupart des grands sites italiens, (nord) africains, grecs ou orientaux (turcs, syriens ou égyptiens) ont souvent été explorés à une date ancienne, à une époque où l’on s’intéressait davantage à la fondation des cités, à l’édification de ses bâtiments publics, qu’à leur destruction, à leur abandon ou à leurs transformations médiévales. Au fil des interventions archéologiques qui se sont multipliées au XIXe et dans la première moitié du XXe siècles, nombre de sites ont ainsi vu leurs couches tardo-antiques et médiévales détruites, leur matériel dispersé ou conservé hors du contexte de leur découverte. Il règne donc souvent un certain flou sur ces siècles pourtant si importants. Il faut dire que jusqu’en 1972 et les travaux de J. Hayes, nous ne disposions pas non plus de typologie du matériel céramique et donc d’indicateurs permettant de fixer la chronologie de cette transition urbanistique et culturelle. Que sont devenues au VIe et VIIe siècles les cités non seulement nous l’ignorons souvent, mais pour un grand nombre d’entre elles, nous ne le saurons sans doute jamais, en particulier pour leur centre urbain. Les fouilles extensives qui y ont eu lieu nous interdisent de le comprendre. Bien-entendu, il est toujours possible d’isoler ça et là des secteurs plus ou moins préservés, mais l’entreprise se révèle souvent ardue. C’est tout l’intérêt du site d’Ulpiana au Kosovo, pour les siècles de transition entre Antiquité et Moyen Age.
 
Notre projet porte sur l’évolution des espaces publics de la cité au cours de l’Antiquité tardive et porte une attention particulière à la fin des temples et à l’apparition des églises dans le tissu urbain de la cité. On a ainsi longtemps pensé à la suite de Friedrich Deichmann (1939-1940) et d’E. Mâle (1950, p. 34-39), que les temples avaient le plus souvent laissé place de façon presque mécanique à des églises qui en auraient repris les éléments architecturaux, les spolia, quand ce n’était pas l’édifice tout entier (Dyggve, 1948, 10 ; contra Foschia, 2000, 417). Cette théorie de la substitution répondait à la logique évolutionniste propre à l’historiographie de la fin du XIXe et de la première moitié du XXe siècles. On pouvait s’appuyer sur plusieurs témoignages littéraires : La Vie de sainte Thècle, une œuvre de la première moitié du Ve siècle apr. J.-C. ; Procope (Hist., I, XVII, 18-19, Dewing, I, Loeb, 48, 1979, 150-151) évoquant au milieu du siècle suivant, au VIe siècle donc, le cas des temples d’Artémis et d’Iphigénie à Comana en Cappadoce, qui furent utilisés par les chrétiens comme église sans véritablement subir de transformation architecturale importante (Hanson 1978, 1978, 264) ; Ennode de Pavie (Dict., 2, Vogel, MGH, AA, VII, 1885, 121-122) indiquant lui aussi une conversion assez formelle de l’église de Saints Pierre et Paul à Novara en Italie (Deichmann, 1939, 134 ; Hanson, 1978, 264, Cantino Wataghin, 1997, 135). Grégoire le Grand (epist., XI, 56, dans Bède, HE, I, 30, Crépin, Lapidge, Robin, Monat, SC, 489-491, 2005, 249-251) un siècle plus tard, en fit, certes, l’un des éléments de la politique d’évangélisation des Angles, qu’il avait confiée à Augustin de Canterbury en Bretagne (MacMullen, 1997, p. 124 ; MacCormack, 1990, p. 15 ; Bayliss, 2004, p. 53). A l’instar de F. Gregorovius (1902, II, 109 & n.1 ; contra Hanson, 1978, 257-267), depuis 1902, on y voyait les prolongements d’une politique impériale et ecclésiastique continue, initiée dès le IVe siècle. Plusieurs études ont battu en brèche cette vision, à commencer par celles d’A. Frantz (1965, p. 205), N. Duval (1971, p. 265-317), G. Dagron (1974, p. 400), J.-M. Spieser (1976), R. P.C. Hanson (1978), et J.-P. Caillet (1996, 201 ; contra Vaes, 1989, 299-319). Ces derniers rappellent d’une part qu’une minorité de temples avaient été transformés en églises et d’autre part que d’autres bâtiments publics comme les thermes avaient subi le même sort. On s’est parfois risqué à des statistiques : en Achaïe, 30% des temples auraient été concernés selon G. Deligiannakis (2011, 324 & n.46), tandis qu’à peine 5% en Afrique selon A. Leone (2013, p. 66.). Dans les villages du territoire d’Antioche en Syrie, le cas ne se présente que très rarement (Gatier, 2014, p. 75). Au Liban, J. Aliquot (2009, p. 125) n’en a trouvé que deux exemples (Ghiné et Burqush). En Gaules dans les cités les plus importantes (Lyon, Narbonne, Toulouse, Genève) et en Italie du Nord, Bailey K. Young (1997, p. 243 sq. ; 2001, p. 173-175) et Gisella Catino Wataghin (1997, p. 133-135), soutiennent que le cas ne se présente que de façon épisodique et en tous les cas pas avant la fin Ve ou le début du VIe siècles. Ces études n’ont qu’un caractère indicatif, étant donné la nature lacunaire de nos données archéologiques, mais aboutissent à une même conclusion. Inversement, les églises ne furent pas les seules à profiter de l’effondrement des anciennes institutions municipales et l’abandon de leurs bâtiments officiels, comme l’a rappelé récemment A. Leone (2013, 63 ; à la suite de Duval, 1971, 265 sq. ; Hanson, 1978, 266 ; Caillet, 1996, 192 sq.), en rappelant le cas de Cuicul/Djemila où ce fut une domus, la Maison de l’Ane, et non une église, qui empiéta sur le téménos d’un sanctuaire. En fait, la focalisation excessive sur le couple temple/église a contribué à brouiller le sens même de l’évolution du tissu urbain des cités entre Antiquité et Moyen Age, en se focalisant à l’excès sur le couple temple/église qui voit dans la conversion de temple en église une pratique majoritaire. L’étude de cette évolution de l’urbanisme tardif doit être conduite comme une étude d’ensemble de la fin de monuments publics dans les cités, en comparant l’évolution contemporaine des thermes, des lieux de spectacles, des différents espaces publics, de l’habitat, afin de comprendre si ces conversions architecturales répondaient ou non à une motivation religieuse. C’est ce que nous pouvons faire à Ulpiana dans des conditions exceptionnelles.
 
Notre projet a aussi un autre objectif qui n’est pas sans importance à la fois pour notre connaissance de l’urbanisme de l’Illyrie durant l’Antiquité tardive, sa dynamique économique mais aussi plus largement pour l’avenir de l’archéologie au Kosovo : l’étude des faciès céramiques. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans notre rapport et dans son étude du mobilier céramique (FIG. 11). L’on peut même dire qu’il s’agit pour le Kosovo d’une véritable urgence d’un point de vue archéologique, car si le son gouvernement ne cesse de vouloir encourager la recherche archéologique (comme en témoignent les crédits généreux dont dispose notre équipe depuis le lancement de notre projet), l’absence de céramologues lui fait cruellement défaut. C’est la raison pour laquelle nous continuerons de donner à notre programme de formation avec T. Mukai (CNRS-Aix-Marseille-CCJ), une forte composante céramologique et que nous suivrons au cours de nos campagnes de fouilles une stratigraphie fine et attentive, sans chercher à ouvrir des tranchées trop étendues. Cette méthode a déjà porté ses premiers fruits, puisque nous commençons à disposer d’une esquisse de typologie chronologique des faciès locaux, qui pourra être utilisée par les différentes équipes qui opèrent en ce moment même au Kosovo, notamment sur les sites d’Harilaq, Dersnik et Prizren.

Dans le cadre de la mission archéologique à Ulpiana au Kosovo, en collaboration avec l’Université de Pristina (UP) et l’Institut Archéologique du Kosovo (IAK), soutenu par le labex TranferS, les responsables du projet, Christophe J. Goddard (AOROC-CNRS/ENS-PSL), Milot Berisha (IAK) et Arben Hajdari (UP) ont accordé une série d’interviews aux chaînes américaines ’Voice of America’ et kosovare RTK. Ils y montrent les découvertes exceptionnelles de la campagne de juillet-août 2017 :

 

Campagne de terrain de 2017

La mission de 2017 s’est déroulée du 5 juillet au 5 août. Elle constitue la première campagne de fouille de notre projet de recherche archéologique franco-kosovare. Elle fait suite à la signature le 8 juin 2017 d’un accord de coopération passé entre l’Ecole Normale Supérieure, l’Ambassade de France au Kosovo, l’université de Prishtina, le ministère de la culture, de la jeunesse et des sports du Kosovo et l’Institut archéologique du Kosovo (IAK). Le lancement de notre projet a été précédé par une mission d’étude qui a porté sur le matériel des fouilles placées sous la direction de J.-L. Lamboley (U. Lyon) et E. Shukriu (U. Prishtina) entre 2006 et 2010. Notre collaboration bénéficie du soutien logistique du laboratoire d’archéologie de l’ENS (AOROC UMR 8546 CNRS/PSL) et a profité d’un généreux financement du laboratoire d’excellence TransferS (programme d’Investissements d’avenir ANR-10-IDEX-0001-02 PSL* et ANR-10-LABX-0099). Elle s’inscrit dans le programme décennal de recherche et de valorisation du Parc Archéologique d’Ulpiana (2017-2027), placé sous la responsabilité de M. Berisha de l’IAK.

Les opérations de fouilles ont été conduites sous la triple direction de M. Berisha (IAK), C.J. Goddard (CNRS, AOROC UMR 8546 CNRS/ENS-EPHE/PSL) et A. Hajdari (U. Prishtina). Ils ont été assistés par V. Bernollin (CAPRA/AOROC UMR 8546 CNRS/ENS-EPHE/PSL) qui a veillé notamment à la photogrammétrie du site, D. Walsh (Lecturer en archéologie, U. Kent), A. Buqaci (doctorant à l’U. Lyon 2 et chercheur assistanten archéologie, U. Prishtina) et E. Arifi (associé à l’IAK). L’étude céramique a été réalisée par T. Mukai (CNRS/U. Aix-Marseille/CCJ UMR 7299). Tom Derrick (U. Leicester, qui avait déjà été associé à la mission du Deutsches Archäologisches Institut à Ulpiana) a été consulté pour l’étude des verres. Le matériel monétaire a été confié à V. Drost (Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Lyon). Les relevés ont été conduits sous la direction de l’architecte F. Berisha (U. Prishtina). Les dessins et la PAO du chantier ont été exécutés par trois dessinatrices employées par l’IAK : L. Rexhepi, E. Rugova et M. Ademi (pour les petits objets). Ont été associés à nos travaux pour toute la durée de la mission, sept étudiants : A. Riverieulx de Varax (Master 1, ENS), J. Guigue (Master 1, U. Lyon 2), I. Culaj (Master 1, U. Lyon 2), E. Smaili (L3, U. Prishtina), M. Beqiraj (L3, U. Prishtina), E. Sellaj (L3, U. Prishtina) et E. Shipoli (L3, U. Prishtina). Vingt-et-un étudiants de l’école d’été d’archéologie de l’U. Prishtina, encadrés par J.-L. Lamboley (U. Lyon 2) et A. Hajdari (U. Prishtina) se sont joints pour les quinze premiers jours. Trois ouvriers du Parc archéologique d’Ulpiana ont également été généreusement mis à disposition de la mission.

Notre église finit donc par être entourée d’une fortification, flanquée de tours circulaires à ses extrémités, dont trois avaient été identifiés aux angles nord-ouest, nord-est et sud-est soit par des photographies aériennes, soit par les sondages géophysiques de l’équipe germano-kosovare. Cette structure défensive en dit long sur la déstructuration du tissu urbain et des remparts de la cité dont la section septentrionale se trouve à peine à une petite centaine de mètres de l’église. Elle coupe à deux reprises le cours du cardo maximus, principale artère nord-sud de l’ancien centre urbain du municipe de Trajan. L’attention des archéologues s’est concentrée depuis 2006 sur cette enceinte. En 2006, l’équipe germano-kosovare s’est portée sur sa section septentrionale, tandis que l’équipe franco-kosovare s’est attelée au quartier situé au sud de son miroir méridional, comme nous venons de le voir. Il revenait à notre équipe d’établir la date de son élévation. Il s’agissait de se concentrer pour nous, dans un premier temps, sur les phases les plus récentes de l’histoire de cette église tardo-antique et de compléter le phasage du faciès céramique pour les opérations à venir, en procédant à un sondage permettant de livrer la stratigraphie la plus fine possible.

Notre projet s’est focalisé sur les quadrants C8-D8-C9-D9 du secteur 45 (fig. 3 et 4c), qui correspondent à la portion sud-est (interne) de la cour fortifiée de l’église septentrionale. Les quadrants C8, C9, D9 ont été placés sous la responsabilité respective de T. Mukai (CNRS), D. Walsh (U. Kent) et A. Buqinca (U. Prishtina). La tranchée, perpendiculaire à la terminaison sud de sa section orientale d’orientation nord-sud (USM149) découverte en 2014, s’est étendue sur 12 m d’ouest en est et sur 4,5 m. du nord au sud. Son emprise au sol était de 54 m2. Elle a atteint une profondeur maximum de 2,05 m. au-dessous du niveau du sol moderne. Le risque de perturbation moderne semblait faible d’après l’étude préalable des archives à laquelle nous avions procédé en 2016. Il y avait bien eu dans le secteur un premier sondage peu profond (70 cm.) en 2015, visant à dégager le mur USM149 pour en assurer la restauration. Cette opération avait été effectuée par A. Buqinca, membre de notre équipe. Un second sondage beaucoup plus profond (3 m. au-dessous du sol moderne) avait été effectué en 2014 au sud-est de notre tranchée par A. Hajdari, et A. Buqinca. Nous avons pu donc partir de leurs données de fouille, encore inédites, pour lancer nos travaux en juillet 2017. Le tracé septentrional de la fouille d’A. Hajdari et d’A. Buqinca en 2014 a constitué la limite méridionale de notre propre secteur.

Notre campagne de 2017 est parvenue à confirmer la présence d’une quatrième tour totalement détruite à l’angle sud-ouest de la fortification, dont il ne subsiste plus que le fantôme de la fondation et du chaînage dans la terminaison sud-occidentale d’orientation nord-sud de la fortification (USM149). L’éboulis découvert lors du sondage de 2015 au sud et à l’est de notre tranchée semble bien correspondre à l’effondrement de la reprise de la tour sur la terminaison sud-est d’orientation est-ouest de l’enceinte de l’église, dont le mur USM46, découvert en 2006/2010, formait le prolongement oriental. On remarquera qu’en ce point, le mur (USM146) n’est pas doublé comme il l’est plus à l’Est par le mur USM50. 

Nous sommes parvenus à proposer une chronologie plus fine de l’élévation de cette enceinte qui semble remonter au premier quart ou au milieu du VIe siècle, complétant donc les résultats de la mission d’étude de 2016 et le travail de l’équipe franco-kosovare de 2006-2010. Elle a pu mettre en évidence aussi une occupation continue de l’intérieur de cette église et de sa cour fortifiée jusqu’au début du VIIe siècle.

Pour en savoir plus, on peut lire en ligne, dans les Chroniques archéologiques des Ecoles françaises à l’étranger :

M. Berisha, C.J. Goddard, A. Hajdari, T. Mukai, « Ulpiana (Dardanie). La datation de la fortification de l’église septentrionale. Première campagne du programme archéologique franco-kosovar (2017) », dans les Chroniques archéologiques de l’Ecole française de Rome.

Campagne de terrain de 2018

Prélèvements physico-chimiques effectués par A. Laenger (Le Mans U) et F. Jedrusiak (U. Paris Ouest Nanterre) en 2018

La mission de 2018 s’est déroulée du 8 juillet au 8 août. Elle constitue la seconde campagne de fouille de notre projet de recherche archéologique franco-kosovare. 

Notre collaboration a bénéficié cette année du soutien logistique du laboratoire d’archéologie de l’ENS (AOROC UMR 8546 CNRS-ENS-EPHE/PSL) et du renouvellement d’un généreux financement du laboratoire d’excellence TransferS (programme d’Investissements d’avenir ANR-10-IDEX-0001-02 PSL* et ANR-10-LABX-0099). Elle s’inscrit dans le programme décennal de recherche et de valorisation du Parc Archéologique d’Ulpiana (2017-2027), placé sous la responsabilité de M. Berisha de l’IAK.

Les opérations de fouilles ont été conduites sous la triple direction de M. Berisha (IAK), C.J. Goddard (CNRS, AOROC UMR 8546 CNRS/ENS-EPHE/PSL) et A. Hajdari (U. Prishtina). Ils ont été assistés par V. Bernollin (CAPRA/AOROC UMR 8546 CNRS/ENS-EPHE/PSL). L’étude céramique a été réalisée par T. Mukai (CNRS/U. Aix-Marseille/CCJ UMR 7299).

Nous avons décidé cette année de renforcer l’équipe en nous tournant vers l’archéométrie, afin de mieux déterminer la fonction des différents espaces de la zone artisanale tardo-antique, qui avait été identifiée lors de la campagne de 2017. C’est la tâche qui revenait au chimiste A. Laenger (U. du Mans) qui a effectué de nombreux prélèvements sur le site, a comparé les concentrations spécifiques d’éléments chimiques avec les activités humaines qui les ont engendrés. Les prélèvements sont effectués sur une trame régulière pour obtenir une répartition statistique significative. Ils sont ensuite analysés en laboratoire, notamment à l’aide d’un spectromètre à fluorescence des rayons X, pour obtenir leur composition élémentaire. F. Jedrusiak (U. Paris Ouest-Nanterre, UMR 7041 Arscan CNRS, U. Paris-Nanterre, U. Paris 1, MCC) a mené une étude carpologique qu’il a concentrée sur les niveaux archéologiques qui semblaient le plus riche en carporestes, en semences anciennes (tardo-antiques et médiévales). L’ensemble des échantillons a été traité par flottation et tamisage à l’aide d’une colonne de tamis de 4, 2 et 1mm et 315 µm, pour être en mesure de récupérer toutes les semences, même les plus petites (comme les plantes sauvages qui se développent lors d’une immersion dans l’eau). Un stéréo-microscope (permettant un grossissement de 8 à 60x) a permis de procéder à des analyses sur le site même. Comme nous le verrons, F. Jedrusiak a pu conforter l’hypothèse avancée l’année dernière : l’exposition régulière du site aux inondations. Il a apporté des éléments essentiels pour comprendre le mode d’alimentation de la population d’Ulpiana et la permanence de sa présence sur le site aux Ve-VIe siècles. L’hypothèse d’un abandon précoce de l’ancien chef-lieu du municipe de Trajan avant le règne de Trajan se trouve déniée une nouvelle fois. Seule une partie des données récoltées ont pu être exploitées. L’Institut archéologique du Kosovo doit nous adresser très prochainement les nombreux prélèvements effectués sur le site, au cours de la campagne de juillet-août 2018.

Les relevés topographiques et stratigraphiques ont été conduits sous la direction de l’architecte F. Berisha (U. Prishtina) et de V. Bernollin (CAPRA/AOROC). Comme l’an passé, nous avons eu recours à la fois aux dernières techniques en photogrammétrie, afin de conserver chaque jour une archive en 3D de chacune des US fouillées. Des dessins classiques ont continué d’être exécutés parallèlement par deux dessinatrices employées par l’IAK : L. Rexhepi et E. Rugova. La PAO a été réalisée par V. Bernollin, assisté par A. Laenger, en collaboration avec F. Berisha. Parallèlement, des prises de vue aériennes ont été effectuées par 4 drones par l’équipe conduite par N. Macchiarella, professeur de sciences aéronautique de l’Embry-Riddle Aeronautical University de Floride (Dayton Beach). Celle-ci était composée de 14 étudiants pilotes et encadrée par 3 enseignants-chercheurs. N. Macchiarella a réalisé cette année un modèle numérique de terrain, un relevé en trois dimensions et une photogrammétrie à très haute définition de l’ensemble du site (soit sur plus de 50 ha). Les relevés topographiques correspondant ont été réalisés par l’équipe franco-kosovare. N. Macchiarella a accepté de rejoindre officiellement notre projet, nous permettant d’obtenir des relevés par drone précis chaque année. Nous comptons procéder ensemble à un relevé LIDAR l’année prochaine et à un relevé géothermique l’année suivante. Il faut préciser que nos collègues américains ne se sont pas contentés de réaliser des prises de vue. Ils ont pris en charge leur traitement. Ont été associés à nos travaux des étudiants de l’ENS et de l’U. Lyon 2, M. Ademi (Master 1, ENS), E. Smaili (Master 1, ENS), J. Guigue (Master 1, U. Lyon 2) et I. Culaj (Master 2, U. Lyon 2). Quatorze étudiants de l’école d’été d’archéologie de l’U. Prishtina, encadrés par J.-L. Lamboley (U. Lyon 2) et A. Hajdari (U. Prishtina), se sont de nouveau joints pour les quinze premiers jours. Cette année, sept ouvriers du Parc archéologique d’Ulpiana ont également été généreusement mis à disposition de la mission.

Lors de la seconde campagne du programme archéologique à Ulpiana, nous avons continué de nous concentrer sur le cas de l’église septentrionale qui s’est installée dans le portique d’un temple abandonné dans l’Antiquité tardive. Le premier objectif de cette année était d’éclaircir la nature des dernières phases de l’église fortifiée. Il s’agissait notamment de mieux cerner la nature et l’extension des activités artisanales abritées à l’intérieur de son enceinte, dont une série de trous de poteaux découverts en 2017 nous avait donné un aperçu. La campagne précédente était parvenue à établir la chronologie de l’érection de la section occidentale de cette fortification (M149). Elle avait montré aussi que cette construction défensive avait fait suite à une série d’événements dramatiques, une inondation (US192) et un incendie de grande ampleur (US190). Nous formulions l’hypothèse que des facteurs naturels avaient joué un rôle fondamental dans l’évolution du tissu urbain, facteurs qui avaient été négligés par nos prédécesseurs. Ainsi l’incendie avait-il pu être le fruit d’un tremblement de terre, tel celui, bien connu, qui frappa la région en 518 après J.-C. Nous ajoutions que le site était régulièrement soumis aux inondations et que leur récurrence dans l’Antiquité tardive, ajoutée aux destructions, pour partie liées seulement aux différents conflits qui frappèrent la province, avaient fini par décider les autorités locales et impériales à déplacer le chef-lieu de la cité, 1 km plus à l’est, légèrement en amont du piémont montagneux, pour limiter l’effet du ruissellement et de la remontée des eaux lors des pluies orageuses, soudaines et diluviennes, caractéristiques du système climatique de la région. Le second objectif était, comme l’an passé, d’établir une typologie précise et bien datée du matériel céramique pour l’Antiquité tardive. Nous voulions conforter, ici aussi, les hypothèses formulées en 2017, en augmentant la base statistique du mobilier découvert et en affinant nos données stratigraphiques et chronologiques.

Il était ainsi nécessaire d’élargir l’emprise de la fouille, que nous avons portée de 54 m2 (2017) à 114,78 m2. Il s’agissait d’une extension limitée qui devait nous assurer d’être en mesure de finir l’étude du mobilier dès la fin de l’été. Cette extension a été facilitée par le fait que le sondage de l’année précédente n’a pas été comblé. La tranchée de 2018 a été étendue à l’est de la tranchée de 2017, secteur qui risquait d’être le moins perturbé, d’après nos résultats précédents. La section méridionale de l’enceinte de l’église (M50/46), dégagée par l’équipe franco-kosovare de 2006-2010, a constitué la limite méridionale de nos fouilles cette année. L’intérieur du caniveau situé sous l’une des dalles du cardo maximus (US 401) correspond au point topographique le moins élevé que nous avons atteint (US 405 : 575,55 m).

Campagne de terrain de 2019

Les secteurs de fouille vus par drone en 2019

La mission de 2019 s’est déroulée du 5 juillet au 6 août. Elle constitue la troisième campagne de fouille de notre projet de recherche mais la première de la mission archéologique française à Ulpiana au Kosovo (MAFKO : fig.1). Elle continue de bénéficier de l’appui des partenaires du programme de recherche et de coopération universitaire lancé en 2017, l’École Normale Supérieure, l’Ambassade de France au Kosovo, l’université de Prishtina, le ministère de la culture, de la jeunesse et des sports du Kosovo et l’Institut archéologique du Kosovo (IAK). Outre la généreuse allocation de recherche du MAEE, nous avons bénéficié du soutien logistique du laboratoire d’archéologie du CNRS, de l’ENS et de l’EPHE (AOROC UMR 8546 CNRS-ENS-EPHE/PSL) ainsi que de l’aide précieuse du Parc Archéologique d’Ulpiana (2017-2027), placé sous la responsabilité de M. Berisha de l’IAK.

Les opérations de fouilles ont été conduites sous la triple direction de M. Berisha (IAK), C.J. Goddard (CNRS, AOROC UMR 8546 CNRS/ENS-EPHE/PSL) et A. Hajdari (U. Prishtina). Ils ont été assistés par V. Bernollin (CAPRA/AOROC UMR 8546 CNRS/ENS-EPHE/PSL). L’étude céramique a été réalisée par T. Mukai (CNRS/U. Aix-Marseille/CCJ UMR 7299).

Les relevés topographiques et stratigraphiques ont été conduits sous la direction de V. Bernollin (CAPRA/AOROC). Photogrammétrie et dessin traditionnel sur calque ont continué d’être exécutés parallèlement. La PAO a été confiée de nouveau à V. Bernollin et à A. Laenger (U. du Mans). La collaboration avec l’Embry-Riddle Aeronautical University de Floride (Dayton Beach) a été poursuivie cette année grâce à N. Macchiarella, professeur de sciences aéronautiques et à ses 25 étudiants qui ont lancé une prospection aérienne sur l’ensemble du site. Leur équipe est parvenue à bâtir une ortho-mosaïque d’une grande précision. Nous avons dû, en revanche, reporter la prospection par LIDAR, à l’année prochaine (2020) à cause de l’indisponibilité de leur technicien.

Nous avons fait de nouveau appel au chimiste A. Laenger (Doctorant, U. du Mans) qui a effectué ses prélèvements sur les trois secteurs de fouille. Son objectif est de procéder à une prospection chimique, en comparant les concentrations spécifiques d’éléments chimiques avec les activités humaines qui les ont engendrées. Les prélèvements ont été effectués sur une trame régulière pour obtenir une répartition statistique significative. Nous avons pu rapporter en France l’ensemble des 60 kg. d’échantillons prélevés. Ils sont en cours d’analyse depuis le début du mois de septembre à l’Université de Mans, où ils sont soumis à un spectromètre à fluorescence des rayons X pour déterminer leur composition. Les résultats devraient nous parvenir dans les mois qui viennent. Ils ne peuvent donc encore être présentés dans le présent rapport. En revanche, F. Jedrusiak (U. Paris Ouest-Nanterre, UMR 7041 Arscan CNRS, U. Paris-Nanterre, U. Paris 1, MCC) a pu mener à terme l’étude carpologique commencée l’année passée. Il a concentré son attention, sur les niveaux archéologiques les plus riches en carporestes, particulièrement dans les fosses, dans l’égout central du cardo maximus, comme dans les différents espaces de circulation et de travail au sein de l’église. L’ensemble des échantillons a été traité sur place par flottation et tamisage à l’aide d’une colonne de tamis de 4, 2 et 1mm et 315 µm. Un stéréo-microscope (permettant un grossissement de 8 à 60x) a permis de procéder aux analyses dans le bureau que nous avons aménagé cette année dans la maison de fouille. Ses résultats sont rassemblés dans l’une des annexes du présent rapport.

L’obtention cette année d’une première subvention européenne qui nous a été octroyée par le Haut-commissaire européen au Kosovo, nous permettra de lancer dès la fin novembre une prospection géophysique qui sera encadrée par M. Dabas (DR CNRS, AOROC) en collaboration avec la société Géocarta. Nous en présenterons les résultats dans notre prochain rapport. Elle est l’étape préliminaire d’une demande de contrat de recherche dans le cadre l’appel de l’Union européenne IPA-II 2020 (dont le financement éventuel ne peut intervenir avant la fin de l’automne 2020).

Ont participé à la mission des étudiants de l’ENS, de l’U. Lyon 2 et de l’EPHE, M. Ademi (Master 2, ENS), E. Smaili (Master 2, ENS), A. Vinandy (Master 2, U. Lyon 2) et I. Culaj (Doctorant, EPHE), ainsi qu’Elza Schipoli (Master 2) de l’U. Budapest. Douze étudiants de l’école d’été d’archéologie de l’U. Prishtina, encadrés par J.-L. Lamboley (U. Lyon 2) et A. Hajdari (U. Prishtina), nous ont rejoint les quinze premiers jours. Cette année, 12 ouvriers du Parc archéologique d’Ulpiana ont également été généreusement mis à disposition de la mission.

L’objectif de la campagne de la mission archéologique franco-kosovare à Ulpiana était de parvenir à proposer une chronologie de l’abandon du portique du temple et de la construction de la basilique chrétienne. Lors des campagnes de 2018 et de 2017, nous étions parvenus à établir que la construction de la fortification de notre église au milieu du VIe siècle était postérieure à la destruction du quartier et à l’abandon du cardo maximus, à la suite d’une série d’événements dramatiques : une série d’inondations qui avaient justifié un rehaussement rapide et régulier des sols de circulation et un tremblement de terre survenu en 518 après J.-C. qui avait entraîné un incendie de grande ampleur. Nous formulions l’hypothèse, à la suite de F. Teichner, que cette nouvelle agglomération devait être identifiée avec le second quadrilatère urbain de dimension plus réduite (9 ha au lieu de 35 ha), entouré d’une muraille et de tours, situé au nord-est du noyau urbain des IIe-Ve siècles après J.-C., et confondu à tort avec le camp militaire (castrum) des Pseudocomitatenses Vlpianenses. Nous avions établi aussi que la fortification du temple avait accueilli une activité artisanale importante, en grande partie liée à sa construction, aux VIe et sans doute au VIIe siècle, interdisant d’affirmer que la destruction des monuments de la cité avait provoqué un abandon de l’ensemble de ses anciens quartiers.

La mission de 2019 a été riche en enseignement et a permis de déterminer que les sections méridionale et occidentale du portique du temple avaient été détruits et démantelés dans la seconde moitié du IVe siècle, à la suite d’un événement que nous n’avons pu déterminer mais qui fut marqué par un incendie. L’état de délabrement de l’ancien pavement de mosaïque était tel qu’il nécessita une vaste opération d’arasement des structures précédentes, de remblais, de terrassement avant que ce secteur ne puisse accueillir un nouveau bâtiment au cours du Ve siècle, plus large que le portique, mais qui n’en occupait que la partie méridionale. Ce bâtiment gagnait ainsi sur la cour du temple. A la fin du Ve siècle ou au début du VIe siècle, il fut de nouveau élargi vers le nord, réduisant d’autant la surface libre de l’ancienne cour du temple. Un mur perpendiculaire élevé sur son partie occidentale, laisse entendre qu’il adoptait une organisation différente du bâtiment précédant. Peu de temps plus tard, furent élevés au début du VIe siècle une abside à l’ouest et un narthex à l’ouest, séparé de la nef par un trivelum, attestant de la présence d’une basilique chrétienne. Il est possible qu’il faille rattacher à cette phase la construction des deux pièces situées au nord et au sud du narthex, à l’emplacement de l’ancienne section occidentale du portique. Ce point devra être vérifié l’année prochaine. Après le milieu du VIe siècle, l’église connut une nouvelle restructuration. La nef fut élargie. Le sol du narthex fut réhaussé d’une vingtaine de centimètres, alors que la basilique était désormais entourée d’une fortification comprenant quatre tours circulaires aux points cardinaux. C’est sans doute durant cette dernière phase que l’église fut dotée d’un exonarthex, en gagnant cette fois sur l’emplacement du cardo maximus qui n’était plus visible de toute façon. Cette hypothèse devra être vérifiée lors d’une prochaine campagne. Pour ce qui du cardo maximus, il a connu davantage de phases que nous l’imaginions. L’état supérieur, comme celui qui lui est immédiatement inférieur, ont comme terminus post quem la fin du IVe siècle. Le cardo maximus, visible aujourd’hui, est donc un aménagement tardif qui a été marqué par la destruction d’édifices privés comme le four que nous avons découvert sous les deux niveaux de voie. Il n’a été abandonné qu’à la suite des événements dramatiques qui ont marqué la première moitié du VIe siècle et de façon assez soudaine. La direction générale de l’égout qu’il recouvre et son inflexion vers le sud-ouest de la cité montre que l’ancienne trame urbaine et l’emplacement de l’ancien forum continuaient d’imprimer leur marque dans l’organisation de la cité. L’étude carpologique que nous avons réalisée sous la direction de F. Jedrusiak (UMR7041-Equipe GAMA, CNRS-U. Paris Nanterre) montre qu’une population dynamique continuait d’avoir une alimentation relativement variée durant les siècles sur lesquels nous avons concentré notre attention cette année, les IVe et VIe siècle.

Campagne d’étude de 2020

L’un des résultats de la campagne de géophysique (ARP) de 2019 de la MAFKO (AOROC et Géocarta)

Comme nous n’avons pu nous rendre sur le terrain en juillet-août-septembre et procéder à une nouvelle campagne de fouille qui visait à établir les dfférentes phases de construction et d’aménagement du temple et de sa cour, nous avons décidé de nous concentrer cette année (1) sur l’étude du mobilier, (2) les analyses archéométriques portant sur les activités artisanales au sein du complexe de l’église-temple fortifiée, (3) sur une série de prospections géophysiques.

Les résultats d’une première prospection électrique et mécanisée couvrant 10 ha, réalisée en novembre 2019 et financée par l’UE (appel IPA 2020), nous sont parvenus en avril dernier. Ils ont tout à fait exceptionnels. Ils confirment le fait que le second quadrilatère urbain découvert par l’équipe allemande de F. Teichner ne saurait être confondu avec le camp militaire (castrum) des Pseudocomitatenses Vlpianenses, comme on l’a longtemps affirmé. Notre propre prospection a découvert au nord de ce second quadrilatère urbain ce qui semble être un quartier épiscopal, organisé autour d’une maison carrée à plan centré de 40 m. de côté, connectée au sud à une importante basilique de 78 m de long sur 25 m de large. Un baptistère (de forme hexagonale semble-t-il) et une église triconque complètent cet ensemble. Nos travaux laissent apparaître aussi un réseau de maisons particulières dotées de cours ou de jardins, ainsi qu’un système de rues orthogonales qui présentent toutes les apparences d’une ville nouvelle, celle évoquée par Procope, qui serait le fruit d’une politique volontariste de Justinien dans la province dardanienne. Ce plan ne correspond en rien à celui pourtant contemporain de Caricin Grad et semble beaucoup plus classique en quelque sorte.

Nous sommes parvenus enfin à localiser au cœur du premier quadrilatère urbain le forum de la cité (de 160 m de long sur 58 m. de large) fermé à l’Est par une basilique civile d’orientation nord-sud, de plus 65 m. de long sur 18,5 m. de large. Nous avons ainsi une idée beaucoup plus précise de l’organisation de deux villes successives fondées par Trajan et Justinien.

Pour en savoir plus, voir notre publication dans la Revue archéologique, dans le cadre des conférences de la Société Française d’Archéologie Classique, en cliquant ici.

C. J. Goddard, M. Dabas, A. Hajdari, M. Berisha, T. Mukai, V. Bernollin, F. Jedrusiak, A. Laenger, D’Ulpiana à Iustiniana secunda, d’une cité à l’autre dans l’Antiquité tardive (prospection géophysique, 2019-2020), Bulletin de la Société française d’Archéologie classique, séance du 13 novembre 2020, dans Revue archéologique, 2022, 73, 1, op. 153-162.

Campagne de terrain de 2021

Une campagne de fouille face au COVID (Ulpiana 2021)

La campagne d’août-septembre 2021 a consacré le retour sur le terrain dont nous avons dû nous tenir éloignés depuis le mois de novembre 2019. Nos travaux en 2020 nous avaient tout de même permis de nous concentrer sur l’exploitation des résultats, en particulier ceux que nous avons tirés de la première campagne géophysique et sur la réalisation d’un Système d’Information Géographique sur QGIS et Chronocarto. Ces derniers reprennent aujourd’hui l’ensemble des données d’archives relatives aux fouilles réalisées sur le site depuis 1953. Ce volet important de notre projet devrait être achevé à la fin de ce dernier trimestre de l’année 2021.

Les conclusions de la campagne de 2021 sur KTV

Nous nous étions fixés, comme premier objectif sur le site archéologique d’Ulpiana, l’établissement d’une chronologie aussi précise que possible de la transition d’un temple, découvert en 1956 dans le secteur septentrional de la cité, à l’église qui prit place sur les ruines de son portique. Notre démarche s’appuyait une analyse stratigraphique fine réalisée sur des secteurs non fouillés, tant par l’établissement d’une typo-chronologie de la céramique qui avait fait cruellement défaut à nos prédécesseurs qu’au recours à des analyses archéométriques réalisées de façon systématique, en particulier physico-chimiques et botaniques. Nous avons ainsi pu établir que le portique du temple avait fait l’objet d’une complète destruction au milieu du IVe siècle après J.-C., causée par un incendie de grande ampleur, qui succéda à une inondation.

C’est sur cette structure complètement arasée, dont il ne subsistait que des lambeaux de pavement mosaïque, que semblait avoir été édifié un premier bâtiment de fonction inconnue au Ve siècle. Ce dernier avait lui-même été détruit au début du VIe siècle, lorsque la construction d’une première église vint s’installer sur sa partie méridionale. Celle-ci eut une vie bien courte, puisqu’elle fut détruite à son tour par le tremblement de terre de 518 après J.-C., qui ravagea d’ailleurs l’ensemble de la cité.

Une seconde basilique chrétienne fut reconstruite au milieu du VIe siècle après avoir été élargie tant au nord sur la cour qu’à l’ouest sur l’ancien cardo maximus désaffecté par le doublement de son narthex. Elle fut alors dotée d’une fortification comprenant quatre tours aux points cardinaux, dont les murs sud et nord interrompaient le cours du cardo. Cette phase semble bien correspondre à la reconstruction de la cité par Justinien au milieu du VIe siècle, à proximité de la première agglomération urbaine d’Ulpiana, qui reçut le privilège d’un nouveau nom, Iustiniana Secunda. La fortification de l’église prenait alors tout son sens, puisque les anciennes murailles de la première agglomération urbaine fortement endommagées ne pouvaient plus protéger les bâtiments qui avaient été établis en son sein. Malgré la modestie du bâtiment religieux, il devait avoir une certaine valeur symbolique pour que la communauté chrétienne locale ressentît le besoin, de l’élargir et de la protéger. 

La prospection géophysique par résistivité électrique (ARP) que nous avions réalisée du 30 novembre au 3 décembre 2020, avait donné un bon aperçu de l’importance de cette seconde cité, qui était bien plus réduite que la première, puisque son emprise au sol, intra muros était d’à peine 18 ha contre 35 ha pour la première enceinte urbaine. Nous avions pu identifier un important quartier épiscopal, constitué d’une basilique imposante de 78 m. de long sur 25 m de large et d’une vaste maison (de 43 m. de long sur 38 m. de large), situé dans le quart nord-ouest de ce second périmètre urbain, protégé par une muraille ponctuée de tours. Son système de rues perpendiculaires, articulées autour de bâtiments de grandes dimensions, avec une forte densité urbaine dans sa moitié nord, présentait toutes les caractéristiques d’une ville nouvelle. Il permettait d’identifier cette dernière avec la ville que fit édifier Justinien au milieu du VIe siècle à proximité du site originel du centre urbain d’Ulpiana, détruit par le tremblement de terre de 518 après J.-C. et la série d’inondations qui suivit.

 Cette prospection avait permis aussi de confirmer la localisation du forum de l’ensemble urbain originel d’Ulpiana qui était fermé à l’Est par une basilique d’orientation nord-sud. Le forum présentait ainsi une disposition similaire à celle bien connue de Feurs, Nyon, Baelo Claudio ou Clunia. L’analyse combinée des données satellitaires (particulièrement celles de Google de juillet 2003 et d’août 2019) et géophysiques faisait clairement apparaître plusieurs systèmes axiométriques, suggérant l’existence de plusieurs phases urbaines. Nous avions rappelé que l’une d’elles avait pu être antécédente à l’accession de la cité au statut municipal sous Trajan. La campagne de 2021 est venue apporter ici de précieuses informations et conforter cette hypothèse, comme nous le verrons.

La campagne de fouilles s’est déroulée cette saison du 5 août au 3 septembre 2021. Elle s’est déroulée dans des conditions particulières à cause de la crise sanitaire, auquel il a fallu s’adapter. Comme pour l’ensemble des 26 missions archéologiques d’AOROC, notre laboratoire, elle s’est déroulée en suivant un protocole assez strict. Les seuls collègues autorisés à se joindre à la mission devaient avoir suivi un plan vaccinal complet. Les étudiants admis sur le chantier étaient soit des étudiants de l’université de Prishtina, soit des étudiants de l’ENS-PSL ou de l’EPHE-PSL, originaires du Kosovo, qui pouvaient être logés par leur famille durant nos fouilles. Les gestes barrières ont été appliqués avec rigueur. Le port des masques était obligatoire durant nos travaux en toute circonstance à l’exception des repas, pris midi et soir, en plein air. Ces précautions nous ont permis de poursuivre le chantier à son terme, malgré la flambée épidémique à laquelle nous avons dû faire face les deux dernières semaines.

Les opérations de fouilles ont été conduites sous la triple direction de M. Berisha (IAK), C.J. Goddard (CNRS, AOROC) et A. Hajdari (U. Prishtina). Ils ont été assistés par V. Bernollin (AOROC). Les relevés topographiques, photogrammétriques et stratigraphiques ont été conduits sous la direction de ce dernier, en collaboration avec notre architecte F. Berisha (U. Prishtina). La PAO a été confiée de nouveau à V. Bernollin et F. Berisha. A. Dupont Delaleuf (ARSCAN) a commencé un inventaire complet du mobilier des fouilles présent sur le site depuis 1981 et a procédé à la campagne photographique des objets. T. Mukai (CNRS/CCJ), assisté cette année d’A. Miftari (IAK) et d’E. Smaili (EPHE-PSL), a poursuivi l’étude du mobilier céramique, F. Jedrusiak (ARSCAN), celui de la paléobotanique et plus particulièrement de la carpologie. A. Laenger (Le Mans Université, CReAAH) qui n’a pu nous rejoindre cette année, procédera en France durant l’année universitaire à l’étude physico-chimique des prélèvements qui ont été réalisés tout au long de la campagne. Nos collègues protohistoriens P. Alaj (IAK) et S. Baraliu (U. Prishtina), ont pu se pencher sur le matériel proto-historique qui a été découvert en fin de mission. Grâce au contrat européen que nous venons d’obtenir et à la collaboration des collègues de La Sapienza, les études paléo-zoologiques et anthropologiques seront entreprises lors d’une mission d’étude durant l’hiver prochain. Nous étions assistés par 12 ouvriers, grâce à la générosité du ministère de la culture du Kosovo et de son institut archéologique. 7 étudiants ont pu nous rejoindre cette année : E. Smaili (EPHE-PSL), I. Culaj (EPHE-PSL), M. Ademi (EPHE-PSL), E. Rexha (M1,ENS-PSL), T. Ahmeti (M1, ENS-PSL), A. Prelvukaj (M2, U. Prishtina), B. Abazi (L3, U. Prishtina), T. Berbatovci (L3, U. Prishtina).

L’objectif de la campagne de 2021 était de fournir une datation précise des différentes phases du temple, de sa construction à sa destruction, notamment pour vérifier si elle correspondait à celle de son portique. Nous voulions tenter aussi de mieux comprendre comment le temple s’était inséré dans le tissu urbain d’Ulpiana. Pour répondre à cette importante question, nous avons procédé à un sondage sur le secteur 1400:1400 (carrés I1-I2) entre le podium arasé de l’ancien temple et l’église qui est située à 4,54 m au sud et élevée sur les ruines de son portique. L’emprise de cette tranchée était de 112 m2. La profondeur maximale que nous avons atteinte était située à 574,511 m. au-dessus du niveau de la mer. Il correspond au niveau, noyé dans les eaux remontées de la nappe phréatique, sur lequel repose la semelle de fondation du podium du temple. Nous avons poussé notre enquête sur 2,714 m. de profondeur, parvenant à suivre une stratigraphie continue de ce secteur de la fin de l’âge du Bronze jusqu’à la fin du VIIe siècle après J.-C. La présence régulière de céramiques d’importation nous a permis d’’établir une chronologie très précise de l’histoire du temple et d’affiner celle de l’église.

Pour en savoir plus, voir notre publication dans la Revue archéologique, dans le cadre des conférences de la Société Française d’Archéologie Classique, en cliquant ici.

C. J. Goddard, M. Dabas, A. Hajdari, M. Berisha, T. Mukai, V. Bernollin, F. Jedrusiak, A. Laenger, D’Ulpiana à Iustiniana secunda, d’une cité à l’autre dans l’Antiquité tardive (prospection géophysique, 2019-2020), Bulletin de la Société française d’Archéologie classique, séance du 13 novembre 2020, dans Revue archéologique, 2022, 73, 1, op. 153-162.

Campagne de terrain de 2022

La fouille des fondations de l’église de Justinien et Théodora en présence du ministre de la culture H. Ceku en 2022

La campagne de 2022, qui s’esr déroulée du 17 juillet au 20 août, a marqué une nouvelle étape importante des recherches archéologiques de la MAFKO, car nous nous sommes attaqués pour la première fois à un secteur totalement vierge d’un point de vue scientifique, nous permettant de mieux comprendre l’évolution du tissu urbain de la cité d’Ulpiana-Iustiniana secunda sur la longue durée, après la large destruction du noyau urbain originel par le tremblement de terre de 518 après J.-C. et la série d’inondations qui en résulta. La fouille que nous avons réalisée cette année nous a permis d’obtenir pour la première fois une stratigraphie continue du site du Premier Âge du Fer à nos jours.

La prospection géophysique par résistivité électrique (ARP) que nous avions réalisée du 30 novembre au 3 décembre 2020, nous avait permis de confirmer l’implantation du nouveau cœur urbain de la cité à partir du milieu du sixième siècle après J.-C., à 1 km à l’est de la ville originelle. Nous avions pu constater, à la suite des prospection magnétiques et géoradars germano-kosovares, réalisées par l’Institut archéologique allemand et l’université de Marburg, sous la double direction de F. Teichner et de M. Berisha (Instit archéologique du Kosovo), que cette seconde implantation urbaine était nettement plus réduite que la précédente, puisque puisque son emprise au sol, intra muros était d’à peine 18 ha contre 35 ha pour la première enceinte urbaine. Nous avions, à notre tour, identifié ce qui présentait toutes les caractéristiques d’un important quartier épiscopal, constitué d’une basilique monumentale de 78 m. de long sur 23 m de large et d’une vaste maison (de 43 m. de long sur 38 m. de large), situé dans le quart nord-ouest de ce second périmètre urbain, protégé par une muraille ponctuée de tours.

Nous avons voulu cette année nous concentrer sur la basilique et opérer un sondage permettant d’établir une stratigraphie aussi fine et précise que possible. Ce secteur nouveau a fait l’object d’un bail avec option d’achat sur dix ans, grâce à la générosité du ministère de la culture, des sports et du Kosovo, au terme du renouvellement en août dernier de la convention qui lie les partenaires pour les cinq prochaines années (outre le ministère, ENS-PSL, U. ’Hasan Prishtina’ de Prishtina, Institut archéologique du Kosovo, Ambassade de France au Kosovo) et étend notre autorisation de fouilles. L’ensemble des structures inventées feront l’objet de mesures de protection et de restauration, couvertes par nos fonds européens (IPAII/PCRD 2020, le 01/122022-31/12/2025). Elles resteront visibles et viendront ainsi enrichir le parc archéologique national d’Ulpiana.

À la suite de l’obtention de notre contrat européen, notre mission s’est élargie à des collègues de l’Université de La Sapienza-Roma 1 et s’est en quelque sorte dédoublée, de manière à pourvoir publier les résultats de notre premier quadriennal (2019-2022) sous la forme d’une monographie collective sur le temple-église aux éditions Hermann dans la collection « Histoire et Archéologie » d’AOROC, tout en poursuivant cette nouvelle campagne de fouille. Une partie de l’équipe s’est ainsi attachée à finir l’étude du mobilier archéologique découvert depuis 2017, de manière à pouvoir rédiger les différents chapitres correspondants, ainsi T. Mukai (CNRS, CCJ-AMU) pour la céramique, T. Derrick (U. Leicester), pour le verre, R. Manzollino (La Sapienza) et T. Hofstetter (U. de Genève), pour l’anthropologie physique, E. Maini (La Sapienza) pour la paléozoologie, F. Jedrusiak (Arscan), pour la paléobotanique, A. Laenger (Le Mans Université, CReAAH), pour les analyses physico-chimiques, A. Prelvukaj (U. Prishtina), pour les monnaies, F. Shala (U. Prishtina) pour la géologie et l’étude de la nature et de la provenance des roches employées comme matériaux de construction. Nous avons prévu d’achever ce premier volume d’ici la fin décembre 2022 pour être en mesure de le publier à l’automne 2023. Le reste de l’équipe a pu ainsi procéder à la fouille du nouveau secteur, notamment avec l’appui d’A. Pegurri et d’A. Ferrandes (La Sapienza) pour le matériel céramique, en étroite collaboration avec T. Mukai. Nos collègues protohistoriens P. Alaj (IAK) et S. Baraliu (U. Prishtina), ont pu se pencher sur le mobilier proto-historique. 

Les opérations de terrain ont été conduites cette saison sous la quadruple direction de M. Berisha (IAK), C.J. Goddard (CNRS, AOROC), A. Hajdari (U. Prishtina) et M. Maiuro (La Sapienza). Ils ont été assistés par V. Bernollin (ENS, AOROC), A. di Miceli (ENS, AOROC/La Sapienza) et L. Feracin (La Sapienza). Les relevés topographiques, photogrammétriques et stratigraphiques ont été réalisés sous la direction de ces derniers. La PAO a été confiée à V. Bernollin et à notre architecte F. Berisha (U. Prishtina). A. Dupont Delaleuf (ARSCAN) a poursuivi l’inventaire complet du mobilier des fouilles présent sur le site depuis 1981 et a procédé à la campagne photographique des objets découverts cette année. Nous étions accompagnés par 16 ouvriers (M. Miodrag ; K. Muhrrem, A. Dimitrievic, N., Dimitrievic, F. Sopjani, G. Gashi, D. Ramabaja, A. Vrajolli, A. Berisha, S. Curolli, X. Berisha, Ç. Bytyqi, M. Simić, P. Ristić, A. Sever), 12 étudiants et postdoctorants : L. Papi (Postdoctorante, ENS, AOROC), A. Poletto (Postdoctorante, La Sapienza), I. Culaj (Doctorant, EPHE-PSL/AOROC), M. Ademi (Doctorante, EPHE-PSL AOROC), I. Achouche (Doctorante, U. Louvain), E. Rexha (M2,ENS-PSL, AOROC), T. Berbatovci (M1, ENS-PS, AOROC), R. Altieri (M2, La Sapienza), E. Filippini (M2, La Sapienza), B. Abazi (L3, U. Prishtina), N. Xhumshiti (L3, U. Prishtina), D. Berisha (L3, U. Prishtina).

L’emprise au sol de la fouille de cette année était de 36,5 m de Nord au Sud, de 7 m d’Est en Ouest. Elle s’étendait ainsi sur près de 255 m2. La forme nette de la basilique que nous distinguions en novembre 2019 sur les relevés ARP à -1,70 m correspondait donc au niveau de fondation. La forme étalée que l’on percevait à -0,5 m. laissait entendre un effondrement des murs vers l’extérieur. Cette hypothèse a été confirmée par nos travaux cette année, comme nous le verrons. Sur le secteur que nous avons ouvert cette année, la basilique ne présente aucune élévation mais presque seulement des sols et des structures murées arasées. Cet été, nous avons choisi de réaliser une première tranchée à même d’embrasser une portion de la nef centrale, de l’abside et d’éventuelles nefs latérales, ainsi que l’extérieur de la basilique, de manière à être en mesure d’atteindre ses fondations. Nous avons procédé en aire ouverte, en procédant à un tamisage systématique de toutes les couches archéologiques. Quatre stations de tamisage nous ont assuré d’avancer à un rythme raisonnable, en prélevant tout le mobilier possible, sans ralentir la progression de la fouille. Comme les années passées, une photogrammétrie quotidienne, géoréférencée par une station totale Geomax 50, réalisée à la fois au sol par photographie à haute résolution et par drone (Mavic mini 3), a permis de réaliser des relevés 3D d’une très grande précision.

Pour en savoir plus, voir notre publication dans les Suppléments de la Rivista d’Archeologie Cristiana :

C.J. Goddard, A. Hajdari, M. Berisha, T. Mukai, V. Bernollin, F. Jedrusiak, A. Laenger, La découverte d’une nouvelle basilique monumentale a Ivstiniana Secvnda-Vlpiana en Dardanie (Kosovo), in G. Castiglia et C. Dell’Osso. (éd.), Topographia Christiana Vniversi Mundi. Studi in onore di Philippe Pergola, Città del Vaticano, 2023, (Studi dei Antichità Cristiana, LXXI) p. 629-656.

Campagne de 2023

La découverte de la dédicace de Justinien et Théodora
 
 
Interview d’Arben Hajdari, Milot Berisha et Christophe J. Goddard sur la découverte de la dédicace de Justinien en 2023
 
 
Reportage de la RTK3 sur la prospection géophysique de 2023 (16-30 novembre) de la MAFKO/MAEKO