Recherches sur les statues équestres en bronze retrouvées sur le territoire des Gaules, datées entre le Ier et le IIIe siècle ap. J.-C.
Héloïse Anginot
La conférence a été donnée vendredi 20 mars en téléconférence sur ordinateur ou sur téléphone portable.
Plus d’informations : Compte-rendu de séminaire, par Diane-Iris Ricaud, master 1 Humanités
Conférence dans le cadre du séminaire « Histoire de l’art antique et archéologie classique »
Compte-rendu de séminaire, par Diane-Iris Ricaud, master 1 Humanités
Présentation des recherches en cours sur les monuments équestres honorifiques en bronze retrouvés sur le territoire des Gaules, datés entre les Ier et IIIe siècles ap .J-C.
Par Héloïse Anginot – Doctorante 2e année Présentation – 20 mars
Mme Anginot travaille, pour sa thèse à l’EPHE-PSL, sur un corpus composé exclusivement de fragments, son étude est donc à la fois iconographique, technique et archéométallurgique. Elle souligne également l’importance de l’étude du contexte de découverte, pour étudier la place donnée à ces images de pouvoir, et la manière dont elles étaient déplacées entre l’atelier de production et le lieu de placement.
Sur une carte de la Gaule, on peut voir que l’on retrouve des fragments sur l’ensemble du territoire de la Gaule, dans des cités d’envergure diverses : aussi bien dans des chefs-lieux (Bavay, Saintes, Lyon capitale des Gaules où l’on a retrouvé 6 fragments de ces statues), que dans des vicus comme Annecy, des colonies latines ayant une fondation précoce comme Nîmes et dans le sanctuaire du Vieil-Evreux. Pour certains fragments, le contexte reste mal connu comme à Bailleul ou à Cassel. Cependant ces fragments ont été découverts dans un périmètre proche, ce qui laisse à penser que les fragments proviennent de la même statue. De futures analyses des alliages nous permettront de préciser ces découvertes.
Ces fragments ont été encore très peu étudiés, mais ils sont mentionnés et publiés dans les Cartes archéologiques des Gaules. Certains fragments se retrouvent dans des catalogues de musées, comme les jambes de cheval retrouvées à Lyon, que l’on retrouve dans Les bronzes antiques, de Stéphanie Boucher, aux éditions du Musée de la civilisation gallo-romaine à Lyon (1977) : le contexte de découverte y est mentionné. Les fragments mentionnés sont faciles à identifier puisqu’ils représentent tous des formes anatomiques reconnaissables.
Il faut attendre les années 2000 pour que des études soient menées, par exemple sur les fragments du Vieil-Evreux, analyses qui ont permis d’identifier 1 statue équestre. Aurélia Azema recense dans sa thèse (Les techniques de soudage de la grande statuaire antique en bronze : étude des paramètres thermiques et chimiques contrôlant le soudage par fusion du bronze liquide) l’ensemble des analyses.
En 2005 à Lyon, lors de la construction du parking Saint Georges, on retrouve des fragments de grands bronzes et un arrière-train de cheval.
La dernière publication en date à ce sujet, à laquelle Héloïse Anginot a elle-même participé est Nouveaux regards sur le Trésor des bronzes de Bavay : les analyses en question ont été réalisées au Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France et ont permis d’identifier deux statues équestres.
Il reste dans les musées des fragments qui peuvent être mal identifiés. L’identification est très difficile : en général les fragments sont simplement identifiés comme des plaques de métal ou des tôles de bronze. La réserve du Musée de Saintes gardait des fragments que Mme Anginot a identifiés comme fragments d’une des statues équestres de Saintes, par la présence de bords qui correspondent de façon caractéristique aux bords du dos de cheval.
Étude iconographique :
La statue équestre en bronze la plus connue est celle de Marc-Aurèle à Rome au Musée du Capitole, haute de 3m. Mais en l’absence de fragments correspondant à un cavalier, comment identifier un fragment de cheval comme faisant partie d’une statue équestre ? Il faut avoir des fragments du tapis de selle et des bords qui marquent le creux où se plaçait le cavalier. Mais il reste des incertitudes, comme par exemple au sujet du quadrige des Chevaux de Saint-Marc, à propos desquels Héloïse Anginot a discuté avec François Bérard. En effet, si l’on a uniquement la jambe du cheval, elle pourrait venir d’un « simple » quadrige. Concernant un quadrige, on suppose la présence d’un char en bronze. Héloïse Anginot prévoit d’approfondir cette étude, notamment par la création de planche mentionnant le type d’objets qui pourrait appartenir à ce type de monument selon les contextes de découverte en Gaule.
Le bilan d’identification du corpus d’Héloïse Anginot est le suivant :
⁃ Pour les statues équestres passant :
o 2 à Bavay
o 1 à Namur
o 1 au Vieil-Evreux
o 2 à Saintes
o 1 à Annecy
o 1 à Lyon
o 2 à Augst
⁃ 1 statue équestre cabrée à Nîmes
⁃ Cas où les fragments de jambes permettent de reconstituer l’attitude du cheval mais on ignore si c’est un quadrige ou une statue équestre.
o 1 à Cassel-Bailleul
o 1 à Poitiers
o 5 à Lyon (les restes épigraphiques mentionnent l’existence d’un quadrige)
o 1 à Pontailler-sur-Saône
Une méthode d’identification est de replacer les fragments sur des négatifs de statues italiennes, datées du Ier siècle au moins. Pour ce qui est de l’arrière-train retrouvé sous le parking Saint-Georges à Lyon, on ne parvient pas à le placer sur les modèles d’Herculanum, mais Héloïse Anginot est parvenue à le placer sur la statue de Marc-Aurèle, ce qui a permis d’identifier la statue d’origine comme équestre passant (cela pose la question éventuelle de la copie de cette statue dans le monde gaulois). Sur le haut de l’arrière-train, on observe des fragments du tapis de selle comparable à celui de Marc-Aurèle. Se pose ensuite la question de la datation, importante à poser pour créer des typologies.
Pour ce qui est de la statue de Nîmes, on a uniquement retrouvé le sabot du cheval. Mais au-dessus du bourrelet périoplique, il y a une partie inhabituellement plate. Lorsque l’on la compare avec la statuette équestre cabrée d’Alexandre le Grand retrouvée à Herculanum, on retrouve cette partie plate : on peut donc identifier la statue originelle de Nîmes comme une statue équestre cabrée.
Recherche Technique et archéométallurgique
Nous pouvons faire l’étude technique de la fabrication de ces bronzes, par exemple sur la jambe retrouvée entre Bailleul et Cassel. On recouvrait le noyau en terre de cire, afin de créer des assemblages et des détails stylistiques. Au moment de la fonte, on fait maintenir le noyau avec le moule grâce à des clous distanciateurs qu’on retrouve derrière la jambe et sur le côté de notre fragment, signe de fonte indirecte. Ces clous permettent aussi au fondeur de contrôler l’épaisseur de son objet. Cette statue monumentale était réalisée en plusieurs morceaux qui étaient assemblés par soudure par fusion de bronze liquide. On retrouve les soudures de part et d’autre des extrémités.
Sur l’ensemble des fragments, on voit des plaquettes de réparure, signe de réparation ou servant à cacher les clous distanciateurs. On peut aussi faire l’historique de la destruction de ces statues : on identifie des traces d’outil, qui montrent que l’objet a été martelé au moment de la destruction. Les cassures se faisaient plus facilement au niveau des soudures.
L’analyse des bronzes a été réalisée par la méthode d’ICP-AES au C2RMF. On prélève 1mm d’épaisseur dans le fragment, on le nettoie et on le met en solution, puis on effectue une analyse par spectrométrie d’émission atomique avec torche à plasma. On retrouve communément du cuivre, de l’étain, et du plomb qui forment l’alliage du bronze. Ce type d’analyse permet d’étudier les éléments traces comme l’antimoine, le bismuth, l’argent ou l’or. La teneur plus ou moins important de ces éléments traces dans un alliage permet de discriminer les analyses et de déterminer des ensembles. Les études menées ces dernières années par Benoit Mille ont contribué à montrer qu’une statue en bronze était fabriquée avec le même métal et neuf.
Dans ce sens, les bronzes d’Annecy devraient être analysés au C2RMF. Il s’agit d’une jambe de cheval conservée au Musée d’archéologie nationale, mais aussi de deux têtes pouvant représenter des généraux, conservées au petit Palais à Paris, et d’une main conservée au Château de Montrottier. Par le biais des analyses, on pourrait relier ces fragments entre eux. La main présente les mêmes caractéristiques de position que la main gauche de l’Auguste d’Athènes qui est en cavalier. Elle est pour l’instant identifiée comme une main de cavalier, ce qui permet de proposer une association avec la jambe de cheval.
Cependant l’identité du métal sur l’ensemble du monument n’est pas toujours vérifiée : on retrouve par exemple sur le site d’Augusta Raurica (Augst, Suisse), des statues dites modulables. Dans les publications de dessins et les analyses de Bettina Janietz en 1996 et 2000, on s’aperçoit que les cavaliers n’ont pas les mêmes teneurs que les chevaux. Cela est-il dû à la provenance d’ateliers différents ? Il faut aussi prendre en compte cette éventualité pour les bronzes d’Annecy.
Étude contextuelle
Où se trouvaient ces monuments dans les cités des provinces des Gaules ?
À Bavay, le forum est un forum tripartite, les études sont à poursuivre sur le territoire des Gaules pour comparer les différents contextes et trouvailles sur ce type de forum. Il est tout de même intéressant de comparer ce contexte de Bavay à ceux d’Italie. À Rome, un quadrige ornait le centre du forum d’Auguste et à Herculanum, une base de statue équestre se trouve à l’entrée de la Basilique. Par comparaison, il est possible de retrouver un monument équestre au centre du forum de Bavay ou aux entrées de la Basilique. Un autre contexte intéressant est celui du sanctuaire du Vieil-Evreux. Les fouilles y ont pris fin à l’été 2019. On a retrouvé le négatif d’une base rectangulaire qui pourrait être celle d’une statue équestre, placée sur le chemin du visiteur en direction du temple central. Le contexte de destruction est aussi très intéressant : on a retrouvé à l’arrière, sur le côté et devant le temple des fragments de ces grands bronzes. On pense qu’ils ont été déposés volontairement et de façon rituelle au moment de la fermeture du site, quand il a été transformé en castrum.
Pour l’étude contextuelle des fragments retrouvés dans la cité de Poitiers, nous ne disposons pas de Carte archéologique de la Gaule. La cité romaine de Poitiers prenait place entre la Boivre et le Clain. On a pu identifier un amphithéâtre, un forum, et un arc de triomphe dont des fragments avaient été retrouvés au XIXe siècle. Les fragments du monument équestre de Poitiers ont pu être placés à proximité de l’arc de triomphe ou dans le forum. Au Bas-Empire, la cité se renfermait dans une enceinte très petite dont l’amphithéâtre ne faisait plus partie. Les fragments de jambes de cheval ont été retrouvés à la limite intérieure de l’enceinte. Ces monuments ont pour beaucoup étaient détruits au Bas-Empire et pour certains ont pu être réutilisés notamment dans la construction des murailles pour caler les pierres.
Conclusion :
1. Image du pouvoir :
Ce sont des statues de 2 à 3m de haut, sur une base de 1 à 2m. Elles pouvaient aussi être sur des arcs de triomphes, mais ces contextes ne sont toujours faciles à identifier. La question des bases
de ces statues est difficile puisque l’on a à ce jour aucune base que l’on peut directement associer à une statue. Sur le site de Murviels-lès-Montpellier, des bases ont été retrouvées, elles sont pour l’instant en cours d’étude.
Pour ce qui est de leur valeur symbolique, le poète Stace montre son émerveillement face à la statue équestre de Domitien (Slives, 1, 1). Les personnages représentés étaient l’empereur ou l’élite locale. La recherche peut aussi s’appuyer sur les inscriptions qui permettraient de proposer des indentifications au personnage représenté.
2. Une implantation sur le territoire des Gaules
Ces images ont été détruites pour être refondues ou réutilisées dans des constructions. Il existe aussi des cas de déposition et d’abandon dans les fleuves c’est le cas à Pontaillers-sur-Saône et à Lyon. Ces contextes seront à déterminer.
Les études menées sur les contextes de Cassel et de Bailleul seront approfondies.
3. De la création hellénistique d’un monument équestre à la création d’un monument gallo-romain
L’iconographie de ces statues est très ancienne. Elle a été créée au IVe av. J.-C. , voire avant pour statues passant. L’ornement tient une place importante, notamment sur le harnachement des chevaux, souvent ajouté par des appliques. Ce corpus des appliques pouvant provenir de ces monuments sera aussi étudié ou en tout cas mentionné dans cette thèse.
4. Fabrication des monuments équestres gallo-romains, de l’atelier à l’emplacement final de la statue.
On a très peu de traces des ateliers, et aucune trace de moules. Elles étaient a priori plutôt fabriquées à Rome, puis acheminée jusqu’à leur lieu d’exposition. Le convoi pouvait emprunter la mer, les fleuves et les routes. Des villes comme Bavay, Namur sont très de loin de Rome, cette étude du cheminement de ces statues sera aussi approfondi dans cette thèse.
Questions et ajouts lors de la discussion :
⁃ Pour les fragments du Louvre, les fragments de Cassel retrouvés très tôt, il y a besoin de données d’archives.
⁃ Il y a un problème pour la technique de la fonte (indirecte avec clous distanciateurs).
⁃ Cassel est un village entouré de champs, sur lequel on dispose de très peu d’infos concernant le contexte gallo-romain. Cela pose problème pour la jambe retrouvée entre Cassel ? On peut en fait faire l’hypothèse d’un arc de triomphe sur la route gallo-romaine.
Ces contextes sont développés dans les ouvrages de P. Gros.
⁃ Le clou distanciateur n’est pas un signe de fonte indirecte, mais d’une fonte en creux.
⁃ Pour la jambe retrouvée entre Bailleul et Cassel : elle est pourtant conservée au musée gallo-romain de Lyon. En fait, les découvreurs ont gravé sur la jambe le fait qu’elle a été retrouvée entre Cassel et Bailleul.
⁃ On a découvert un autre élément de crinière et un autre fragment de panse dans la cour avant du monument du Vieil-Evreux ainsi qu’une centaine de « tôles de réparure » en lien avec la fermeture
du sanctuaire (information de Mme Sandrine Berthaudière).
⁃ Le dépôt rituel des fragments n’est pas acquis, certains chercheurs ne sont pas d’accord.
⁃ La question des origines grecques, sera abordée par Héloïse Anginot au début de sa thèse, pour pouvoir les inscrire dans cette tradition, et montrer la continuité de ces formes iconographiques.
Responsable : François Queyrel